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L’ESCALADE.

À travers la bruyère et les taillis en pente,
Sur la roche inégale où le sentier serpente,
Les chèvres, les brebis, les vaches au poil roux,
Passent en longue file en contournant les houx.
Des rebords du plateau jusque vers la colline
Tinte à chaque détour la clochette argentine.
Voici, tout près de moi, le chien et le berger.
Je ne suis plus pour eux un bizarre étranger.
Le vieux pâtre interrompt sa ballade ingénue ;
Il s’approche, il m’adresse un mot de bienvenue.
Il sait de quoi je songe, et, d’un geste joyeux,
Lève un bras vers la cime où se tournent mes yeux.
Il sourit, et, flattant l’orgueil qui me travaille,
Il vante de mes gars la souplesse et la taille ;
Et jamais à mon cœur, jamais si douce voix
Ne vaut ce mâle éloge en son rude patois.
Mais le soleil déjà touche à l’ardente roche,
Et le basalte aigu s’enflamme à son approche.
Tout à coup, s’affaissant sur le sombre plateau,
— Comme un bloc de fer rouge écrasé du marteau
S’éparpille en éclairs contre la noire enclume, —
L’astre en feu rejaillit, et tout l’azur s’allume.
Or, du même coup d’œil qui saisit dans les airs
Les jets de l’incendie et le vol des éclairs,
J’aperçois, dessinés en silhouette noire,
Mes gars, les bras levés en signe de victoire.
Voilà le globe d’or descendu derrière eux.
Un trait rouge a bordé le profil ténébreux
Du rocher dominant la montagne aux flancs sombres.
Dans le ciel bleu je vois s’agrandir les deux ombres ;
Et, de là-haut, deux cris serrés et triomphants
M’apportent le salut et l’orgueil des enfants.