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LE LIVRE D’UN PÈRE.


Ma jeunesse revient, mais sereine, apaisée ;
C’est la même chaleur avec un jour plus pur,
C’est un ciel à midi, s’humectant de rosée,
C’est l’arbre encore en fleur couronné de fruit mûr.

Un flot de vie en moi de partout s’insinue,
Comme un présent du ciel et comme un don de vous ;
Je sens, de ma saison tout à coup revenue,
La verdure aussi fraîche et le parfum plus doux.

Quand le chêne au tronc creux n’a d’entier que l’écorce,
Ainsi l’abeille y fait sa divine liqueur ;
Il sera consolé d’avoir perdu sa force…
Le chêne, au lieu de sève, a du miel dans le cœur.

Volez donc, posez-vous sur toutes ces merveilles,
Sur ces fleurs des hauts lieux qui vous restent ouverts,
C’est de vous que j’attends, ô mes chères abeilles,
La sève de mon âme et le miel de mes vers.

Allez sur les sommets d’où la clarté ruisselle,
Cueillir plus haut que moi votre part d’idéal ;
Emportez de ces bois quelque vertu nouvelle,
Pour en faire aux aïeux un tribut filial.

Chantez, jeunes oiseaux, le chêne va se taire !
Ce qu’ébauchait ma vie, à vous de le finir.
Puisse grandir en vous notre âme héréditaire,
Et mon père, attendri, par vos mains me bénir.

Que m’importent mes jours si près de disparaître,
Enfants, mes seuls objets d’espérance ou d’effroi !