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PÈLERINAGE.

Ceux-là me survivront et je compte sur eux
Pour protéger mon œuvre et garder ma mémoire.
Je n’écris pas leurs noms, et je fais sans remords,
Comme ils feront un jour, la grande part aux morts,
Mais tous de ma jeunesse ont embelli la fête ;
Tous ont de mon esprit secondé le réveil…
C’est pour m’être avec eux enivré de soleil
Et d’ardente amitié que je devins poète.

Coteaux pierreux, chargés d’arbustes toujours verts,
Tièdes vallons de l’Arc aux bastides fleuries,
Dans vos étroits sentiers, durant ces quatre hivers,
Que vous avez ouï de folles causeries,
Que vous avez caché, bercé de rêveries,
Que vous avez prêté de couleurs à nos vers !
Puis, dès que les hauts lieux tentaient mon cœur malade,
Quand l’ardeur du désert tout à coup me prenait,
Que de fois, dans la nuit, fuyant tout camarade,
A travers champs, après la halte au Tholonet
J’ai de Sainte-Victoire accompli l’escalade !

Plus tard, sous d’autres cieux, les esprits tentateurs,
Mont fait goûter l’ivresse et l’orgueil des hauteurs,
Et, lisant près de Dieu sa vivante écriture,
J’ai commencé mon hymne à la grande nature ;
Plus tard j’ai respiré la sainte horreur des bois.
Mais, sur ces monts, pareils à ceux que vit Homère,
Sous ces pins élégants dorés par la lumière,
Du rythme harmonieux j’appris les douces lois.
La muse de Platon fut ma muse première ;
J’entrevis sur ses pas l’idéale beauté,
Et c’est l’hymne du cœur que j’ai d’abord chanté.