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LE LIVRE D’UN PÈRE.

Toi par qui la raison se montrait parmi nous ;
Cœur tendre, aimable esprit, comment te dépeindrai-je ?
L’estime et le respect entouraient tes vingt ans ;
Les fleurs de la sagesse ornèrent ton printemps,
Et tu n’as pas cueilli leurs doux fruits en automne !
Tu mourus le premier, hélas ! en plein bonheur…
Le premier, le plus jeune, et ta part fut la bonne :
Ils finissent ainsi, les élus du Seigneur.
Le succès à ton nom n’a pas mis de couronne ;
Mais tu mourus sans tache et tu n’as pas souffert,
Toi qui m’aimais si bien, mon pauvre Guillibert !

Ailleurs je t’ai pleuré, toi le sombre poète,
Penseur mort au même âge et de nous seul connu,
De ton berceau brumeux sous cet azur venu
Sans y rasséréner ta grande âme inquiète,
Que de soirs, cher Tisseur, autour des chênes verts,
Jamais lassés d’errer et de causer sans trêves,
Avec toi, mon émule et maître en l’art des vers,
Avons-nous voyagé dans le pays des rêves !
Mon poème avec nous s’avançait en chemin,
T’empruntant une rime, une idée, une image,
De cette œuvre en commun je garde un témoignage,
Mon livre entier relu, noté de page en page,
Psyché, cinq mille vers copiés de ta main !
Ami, j’ai mieux encor que ces pages si chères ;
Pour ton vieux compagnon tu revis dans tes frères,
Et ton nom, prononcé dans tous nos entretiens,
Me rend mes plus beaux jours entremêlés aux tiens,

Que d’autres chers acteurs, dans cette douce histoire,
Des printemps écoulés sous ce ciel généreux !