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LE LIVRE D’UN PÈRE.


La neige sur vos fronts dort ses chastes sommeils ;
Là filtrent l’humble source et le superbe fleuve ;
Vos flancs versent le lait au troupeau qui m’abreuve ;
Le vin fume à vos pieds sur les coteaux vermeils.

J’ai salué jadis vos forêts protectrices,
Vos chênes éloquents instruits de l’avenir,
Voici mes fils ! je viens avec eux pour bénir
Vos prés, l’herbe féconde et nos saintes nourrices.

Et vous, goûtez ce sel et ces fleurs dans nos mains,
Vaches à vos bergers douces comme des mères !
O vous qui, sans combat, versâtes les premières
L’aliment pacifique aux farouches humains !

J’aime à vous voir ainsi rêver, fortes et lentes,
Tandis que s’accomplit dans la nuit de vos flancs
Le mystère sacré qui de ces vertes plantes
Distillera pour nous ces flots tièdes et blancs.

Dans un puissant repos vous êtes là, couchées,
Comme ces larges monts au musculeux poitrail,
Durant qu’ils font germer dans leur profond travail
Les herbes, les métaux et les sources cachées.

Des flammes du couchant vos fronts luisent comme eux,
Et, tandis que rougit à vos pieds la bruyère,
Qu’une fine vapeur court sur vos reins fumeux,
Vous aussi semblez boire à longs traits la lumière.

Respirez-vous, de plus, un vague esprit dans l’air ?
Entendez-vous des voix qu’ignore^ la montagne ?