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LE LIVRE D’UN PÈRE.

Mais je pars, le cœur plein de doute et de murmures,
Avant que la vendange et la moisson soient mûres !
Le triste laboureur, loin du champ bien aimé,
Ne récoltera pas ce qu’il avait semé.
Et qui sait, après lui, si la foudre et la grêle,
Si les chasseurs, foulant ses blés, sa vigne frêle,
Laisseront sur le sol, dans les greniers en feu,
Quelque chose à cueillir ou pour l’homme ou pour Dieu !

Puisse, un jour, récoltant l’or de ces jeunes plantes,
Au gré du vieux semeur bien douces mais trop lentes,
La patrie hériter de ma chère moisson !
Amis, si vous gardez ma suprême leçon,
Si je vous vois, comblant ma plus haute espérance,
Chérir, comme je fais, notre mère la France,
Prêts à la bien servir en temps calme ou troublé,
Je puis vivre ou mourir, mais fier, mais consolé.
 
Pourquoi douter ? pourquoi, rassasié d’orages,
Ne pas forcer ton âme à de meilleurs présages ?
La vie est sombre, ayons un radieux trépas !
Croyons à de beaux jours que nous ne verrons pas,
Et qui feront mûrir, dans l’héritage en fête,
Cette verte moisson qui si fort t’inquiète !
Fions-nous au bon sol, au bon grain, au soleil…
Et dans les bras de Dieu dormons notre sommeil.


Février 1875.