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LE LIVRE D’UN PÈRE.

Et si Dieu, dès ce monde, en surcroît de l’honneur,
Voulait vous accorder quelque peu de bonheur !
 
Qu’importe que ma fin soit souriante ou triste !
C’est pour ces jeunes fleurs que le vieil arbre existe,
Que la fleur soit donc belle et le fruit généreux :
L’arbre qui les portait sera jugé sur eux.

C’est ainsi, chers enfants, dont l’aspect me rassure,
Que vous serez ma gloire ou bien ma flétrissure.
Étant sortis de moi, vous me devez au moins
D’attester tout mon cœur et d’être mes témoins.
Exerçant sur mon nom la censure et l’envie,
Bien des gens ne sauront de moi que votre vie,
Et si vous n’êtes bons, je serai cru pervers ;
De mensonge et d’orgueil on taxera mes vers,
Et, les effaçant tous, d’un seul coup de faiblesse,
Vous ferez un plomb vil de l’or que je vous laisse.

Ne me démentez pas ! l’honneur est à ce prix.
Tâchez de valoir mieux que mes meilleurs écrits ;
Et que l’on reconnaisse, en vous regardant vivre,
Que mon cœur sentait bien ce que disait mon livre ;
Que j’avais dans le sang, que j’observai toujours
La fière loyauté qui règne en mes discours ;
Que, si vous marchez droit, c’est en suivant ma trace,
Que ce n’est point hasard, mais vertu de ma race.

Ayez donc devant vous, comme image du bien,
Votre père, toujours, ainsi que j’eus le mien ;
Qu’il soit mort ou proscrit, vivez en sa présence :
L’aïeul vous parlera dans votre conscience.