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LE LIVRE D’UN PÈRE.

Mais, pour mes bien-aimés, je suis insatiable.
Qu’importent mes vieux jours que la souffrance accable,
Si, comblé par le ciel dans mes vœux les plus doux,
Tout ce que je n’eus pas, je vous le donne à vous !
Si, travaillant d’accord avec la Providence,
Je laisse aux chers petits la joie et l’abondance !
Si je les ai faits tels, si fiers, si généreux,
Que l’honneur de mon nom s’agrandisse par eux !
S’ils gardent mieux que moi, tout en suivant ma trace,
Les solides vertus qui fondent une race !
Si, de plusieurs degrés rehaussant la maison,
Ils se font de leurs mains un solide blason !
Jadis j’avais rêvé d’ennoblir mes ancêtres,
Je me réglais sur eux, je les prenais pour maîtres…
Il me serait, au prix des efforts que je fis,
Bien doux d’être à mon tour ennobli par mes fils !
Je sais que peu de noms s’inscrivent dans l’histoire ;
Mais on acquiert l’honneur à défaut de la gloire :
On se voit estimé des esprits exigeants ;
Si l’on n’a pas la foule, on a les braves gens.
Fallût-il renoncer à ce lustre modeste,
Le bonheur est possible et la vertu nous reste ;
Et, sous son toit obscur, l’honnête homme a du moins
Les âmes de ses morts et son Dieu pour témoins !
J’applaudirais d’en haut vos victoires secrètes…
Mais je reprends mon rêve, et je vous vois poètes.
Soldats, penseurs, guidant les cités d’un bras fort.
Et, de plus, satisfaits de vous comme du sort ;
Puis, joyeux, animés d’une secrète flamme,
Capables de goûter les voluptés de l’âme,
Atteignant de votre art le suprême degré,
Et touchant les hauteurs où j’ai tant aspiré.