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PERNETTE.


Muse des lieux que j’aime, esprit sombre des bois,
Qui sonnas le Bardit sous le grand chef gaulois,
Qui fis trembler César dans nos vallons arvernes,
Sors, après deux mille ans, de tes vieilles cavernes !
Non pour dicter des vers qui vibrent un instant ;
Laisse là le chanteur et vole au combattant !
Laisse-moi seul ! sois toute à nos vaillants ! Qu’importe
Que languisse ma voix, tant que leur âme est forte ?
Donne aux yeux de tes fils tes regards acérés,
À leurs reins la vigueur de nos chênes sacrés.
Fais que du plomb rapide, ou de l’acier tenace,
Chacun d’eux frappe au cœur l’ennemi de sa race.

L’étranger aux pas lourds s’étendait sans soupçons,
Devant nos chemins creux couverts par les buissons ;
Quand jaillit, à travers les ronces et les lierres,
Un sifflement aigu suivi de cent tonnerres…
L’écho crépite et gronde, et nos vaillants conscrits,
Dressés et triomphants, s’élancent à grands cris :
Pas un coup de fusil qui n’ait touché son homme,
Et la balle a choisi tous les chefs qu’on renomme !

Surpris et foudroyé, le bataillon trop lent
Hésita, froids soldats, braves, mais sans élan.
Tandis qu’ils frappaient l’air d’une vaine riposte
Et s’alignaient chacun incertain de son poste,
Nos conscrits, bondissant à travers les halliers,
Fiers louveteaux à qui ces bois sont familiers.
Avaient refait, dans l’ombre, une halte invisible
Et répété trois fois la décharge terrible.

Le feu de nos chasseurs remontait par degré,