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自私其生 « ne vivre que pour soi. » E : Le Tao n’a point d’égoïsme. Si celui qui pratique le Tao estimait la vie et voulait en jouir pour lui seul, il ne se conformerait pas au Tao et ne pourrait nourrir sa vie (vivre longtemps). La meilleure voie pour nourrir sa vie, c’est de ne pas vivre pour soi seul. Celui qui ne tient pas à sa vie pratique le non-agir ; si vous pratiquez le non-agir, vos esprits se fixeront en vous et vous pourrez vivre longtemps. Celui qui tient à la vie, qui vit pour lui seul, se livre à l’action. Si vous vous livrez à l’action, vos esprits s’abandonneront à des mouvements désordonnés et ne se reposeront jamais ; par là vous détruirez vous même votre vie. Le saint homme contemple la voie du ciel et de la terre qui ne vivent point pour eux seuls (mais pour tous les êtres), et il reconnaît que quiconque cherche à vivre nuit à sa propre vie. C’est pourquoi il se met après les autres ; il se dégage de son corps, de son individualité, pour imiter le ciel et la terre qui ne vivent point pour eux seuls, et alors il occupe le premier rang et se conserve longtemps.

B : Pourquoi l’homme ne peut-il subsister éternellement comme le ciel et la terre ? C’est parce qu’il se laisse aveugler par ce qu’il voit et ce qu’il entend, parce qu’il se laisse séduire par ses sensations et ses perceptions. Son corps, qui n’est qu’une chose illusoire, l’enchaîne comme des ceps de fer ; il recherche avec trop d’ardeur les moyens de vivre, et ne sait pas étouffer les passions désordonnées ni les appétits sensuels. De là vient que le saint homme déracine et expulse les illusions du siècle ; il s’abaisse pour nourrir sa volonté, et il oublie son corps pour conserver sa pureté. Tous les hommes aiment à s’élever ; lui seul aime à s’humilier et à s’abaisser. Ils aiment à se faire grands ; lui seul cherche à paraître mou et faible. Ils disputent tous le premier rang ; il se retire comme par pusillanimité. Il se met lui-même après les autres et les place avant lui. C’est pourquoi les hommes l’honorent et le placent au premier rang.

Les hommes recherchent avidement les affaires ; lui seul il diminue ses désirs. Ils estiment leur personne ; lui seul oublie son