Page:Lao-Tseu - Le livre de la voie et de la vertu - traduction Stanislas Julien, 1842.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

point de la vie, je reconnais que la vie n’a rien qui puisse inspirer du dégoût. »

E : Les hommes vulgaires sont mécontents de leur sort et veulent s’enrichir sans interruption. Alors ils cherchent le profit et reçoivent du dommage ; ils cherchent la paix et trouvent le danger. Précédemment leur situation n’était pas fâcheuse, mais aujourd’hui elle est devenue détestable. Celui qui ne se dégoûte point de son sort, qui sait se suffire et ne désire rien, reste, jusqu’à la fin de sa vie, à l’abri du danger et du malheur. C’est pourquoi son sort n’a rien qui puisse lui inspirer du dégoût.

Liu-kie-fou : Si je ne trouve pas ma demeure trop étroite, c’est que je me suis dégagé de mon corps ; si je ne me dégoûte pas de mon sort (littéralement : « de ma vie »), c’est que je me suis dégagé de la vie matérielle pour ne plus vivre que de la vie intérieure. C’est pourquoi le peuple imite mon exemple et ne se dégoûte point de son sort : 是以民亦不厭也. On voit que ce commentateur rapporte au peuple les mots pou-ye 不厭 et les rend par « ne pas se dégoûter de », tandis que Sou-tseu-yeou les explique par « n’a voir rien qui inspire du dégoût. »

Si l’on adoptait l’interprétation de Liu-kie-fou, il faudrait traduire : « Je ne me dégoûte pas de mon sort, c’est pourquoi (le peuple) ne se dégoûte pas (du sien). »


(5) E : Dès l’origine, la nature de notre condition est fixée (par le ciel). Les hommes vulgaires ne comprennent pas leur destinée, c’est pourquoi ils se dégoûtent de leur sort. Il n’y a que le Saint qui connaisse lui-même sa condition et qui accepte avec docilité la destinée que lui envoie le ciel ; il ne se vante point, il n’a nul désir des choses extérieures et se trouve dans l’abondance. Les hommes vulgaires ne se plaisent pas dans leur maison et la trouvent étroite. Mais le Saint « aime sa demeure » 自愛其居 et se plaît en tous lieux. Il ne s’agrandit pas à ses propres yeux ; il ne songe point à quitter sa retraite pour remplir des charges.