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l’époque romantique.

l’avait établi : le Midi, c’était de l’Orient encore. Tout le romantisme tapageur et commun se trouvait dans ces essais : le forcené dans les passions, l’immoralité dans les mœurs, l’étrangeté insolente dans la couleur locale. Et par endroits perçait une originalité certaine de tempérament, dans quelques mots de passion profonde, dans quelques poussées de mélancolie simple ou de moquerie gouailleuse.

Musset ne s’attarda pas dans le romantisme : les disputes littéraires ne l’intéressaient guère. Il avait fait des niches aux classiques à perruque de 1830 ; il aimait les grands classiques de 1660, y compris Racine, la bête noire en ce temps-là des esprits larges ; il ne se gêna pas pour se moquer des romantiques, du pittoresque plaqué, des désespoirs byroniens, des pleurnicheries lamartiniennes[1]. Affectant un certain mépris de la forme et de l’art, il posa que toute l’œuvre littéraire consiste à ouvrir son cœur, et pénétrer dans le cœur du lecteur : émouvoir en étant ému, voilà toute sa doctrine ; et si l’émotion est sincère, communicative, peu importe quelle forme l’exprime et la convoie. « Vive le mélodrame où Margot a pleuré. » Il n’eut donc souci que de dire les joies et les tristesses de son âme. Il a vécu sa poésie : elle est comme le journal de sa vie. Non qu’elle enregistre les faits, elle note seulement le retentissement des faits dans les profondeurs de sa sensibilité.

Il n’y a rien en somme que de commun dans la vie de Musset : beaucoup de folie, beaucoup de plaisir, beaucoup de passion, à la fin le naufrage dans l’habitude insipide et tenace, avec l’amertume de la désillusion impuissante. L’absurde rêve que firent George Sand et lui de réaliser l’idéal romantique de l’amour, aboutit pour l’un et l’autre à d’orageux éclats, à de cruels déchirements : Musset y connut la souffrance profonde, aiguë, incurable.

Jusqu’à cette grande crise, c’est un enfant, et un enfant gâté, sensible, égoïste, prêt à aimer, et surtout avide d’être aimé, léger et fougueux, joyeux de vivre et insatiable de plaisir, vite déçu, jamais lassé, et recommençant toujours sa course au bonheur, sans se douter qu’il s’est trompé non pas d’objet, mais de méthode : entre vingt et vingt-cinq ans, il est tout pétillant, tout bouillant de vie et d’espérance. Avec cela, intelligent, spirituel, finement

    À consulter : P. de Musset, Biogr. d’A. de M., in-16, 1877 ; Lui et Elle, 1859 ; G. Sand, Elle et Lui ; Mme C. Jaubert, Souvenirs, 1881 ; A. Barine, A. de Musset (coll. des Écriv.), 1893. Brunetière, Evol. de la p. lyr., 7e leçon. Evol. de la poésie dramatique, 15e conf. Faguet, xixe siècle ; Spælberch de Lovenjoul, Lundis d’un chercheur, 1894 ; M. Clouard, Bibliographie des œuvres d’A. de M., 1883 ; L. Séché, A. de Musset, 1907, 2 vol.

  1. Mardoche, Namouna, Lettres de Dupuis à Cotonet.