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la poésie romantique.

va refléter en ses vers, mais immensément agrandis et parés, les sujets d’actualité ; il prendra son thème dans les inquiétudes journalières de l’opinion publique ; cest ainsi qu’il se donnera mission de prêcher

Napoléon, ce dieu dont tu seras le prêtre.

Il fera effort pour être la pensée du siècle : il battra puissamment l’air autour des grands problèmes, des lieux communs éternels, il nous étourdira d’un froissement tumultueux de métaphores et de symboles. Il s’essaie encore gauchement à la poésie « visionnaire », sans y réussir aussi bien que dans certaines amplifications largement touchantes où il enseigne la charité, celle qui aime et celle qui donne. En même temps, il fait quelques études pittoresques d’après nature : lâchant l’ombre de l’Asie pour la réalité prochaine, il nous donne des paysages parisiens, des bords de Bièvre, des soleils couchants ; ailleurs il indique l’usage qu’il fera plus tard de la nature pour l’expression symbolique de l’idée[1].

Les Feuilles d’automne se terminent par une promesse de poésie satirique, que tient la première moitié des Chants du crépuscule (1835). Un bal de l’Hôtel de Ville, un vote de la Chambre, un suicide, le tombeau de Napoléon Ier, Napoléon II, la Pologne, voilà sur quoi se déchaîne le puissant souffle du poète : demi-journaliste et demi-prophète, il s’évertue à juger, à prédire ou maudire ; il travaille visiblement à transformer la vieille satire en satire lyrique et apocalyptique[2]. Il obtient de saisissants effets de contraste par l’irréalité fantastique du sujet général et par la trivialité réaliste de certains détails. La seconde partie du recueil, plus intime, nous offre un peu de pittoresque avec beaucoup d’amour ou d’amicale affection : aucun sentiment bien profond ni original, une virtuosité souvent exquise d’expression. Ce qu’il y a de plus caractéristique, est l’allégorie large de la Cloche.

Les Voix intérieures mêlent toutes les inspirations des deux recueils précédents : pensives méditations sur les faits du jour, délicieux appels à l’enfance, banales leçons aux épicuriens et aux riches, paysages précis et pittoresques, graves consultations sur le mal du siècle. Mais ici apparaît le premier chef-d’œuvre du symbolisme de Hugo : la Vache. Ce n’est pas une action comme chez Vigny, c’est un tableau que V. Hugo nous présente, un tableau qui se suffirait à lui-même par son immédiate objectivité, mais au

  1. Pan.
  2. Noces et festins ; l’Aurore.