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l’histoire.

récita plus d’une fois aux pèlerins venus pour visiter le tombeau [1]. Très exactement informé, religieusement attaché à la vérité et aux documents qui la montrent, bon écrivain dont le style a de la solidité et du relief, ce clerc errant, de vie assez libre, est intraitable sur les privilèges et la mission du clergé ; c’est un de ces enfants perdus, de ces polémistes que rien n’effraie, qui, de leur autorité privée, se font défenseurs et régents de l’Église, aussi prompts à en invectiver la corruption qu’à réclamer pour elle toute la puissance : l’Eglise, de tout temps, a eu de ces serviteurs zélés, brutaux, indociles, qui la gênent, la compromettent autant qu’ils la servent, et, somme toute, lui font payer cher leurs services.

Pour d’autres raisons, et particulièrement pour la nouveauté d’un tel caractère dans une telle condition, saint Louis trouva de nombreux biographes. En moins de quarante ans, Geoffroy de Beaulieu, confesseur du roi, Guillaume de Nangis, Guillaume de Chartres, et le confesseur de la reine Marguerite écrivirent la vie, les enseignements et les miracles du saint roi : Joinville, qui les efface tous, mit à profit les travaux des deux premiers pour compléter ses souvenirs personnels.


3. JOINVILLE.


Jean, Sire de Joinville [2], Champenois comme Villehardouin, n’est ni un capitaine ni un homme d’État. Il n’a pas les talents de son devancier : mais c’est un charmant esprit, franc, ouvert, primesautier, un esprit de la famille de La Fontaine et de Montaigne. Il se raconte en racontant saint Louis ; il se peint, avec ses goûts,

  1. À consulter : la Vie de saint Thomas le Martyr, étude historique, littéraire et philologique, par Étienne, Paris, 1883.
  2. Biographie : Jean, sire de Joinville, né en 1224 au château de Joinville (Haute-Marne), orphelin de bonne heure, fut élevé dans la cour du comte de Champagne, Thibault IV, son suzerain et son tuteur selon la coutume féodale. Majeur et investi de l’office de sénéchal de Champagne, héréditaire dans sa famille, il se maria. Il avait deux enfants quand il partit pour la croisade (avril 1248). En septembre, il rencontra saint Louis à Chypre. Il resta en Égypte, en Syrie jusqu’en 1254. Il refusa de se croiser avec saint Louis en 1267. Philippe III lui confia vers 1283 l’administration du comté de Champagne pendant la minorité de Jeanne de Navarre. En 1315, à quatre-vingt-onze ans, il écrivit à Louis X une lettre qu’on a conservée ; il promet de rejoindre bientôt avec ses gens le roi qui marche contre les Flamands. Il mourut en 1319. Joinville écrivit son histoire à la requête de Jeanne de Navarre, comtesse de Chamapgne et reine de France : comme elle mourut en 1305, le livre de Joinville fut offert, en 1309, à son fils Louis (plus tard Louis X).

    Éditions : Antoine de Rieux, Poitiers, 1547 ; Claude Ménard, 1618 ; Melot, Sallier et Capperionnier, 1761 ; N. de Wailly, Paris, Didot, gr. in-8, 1874.

    À consulter : Vie. H. -F. Delaborde, Jean de J. et les seigneurs de J., Paris, in-8, 1894 ; G. Paris et Jeanroy, ouvr. cité ; Debidour, ouvr. cité ; G. Paris, la Composition du livre de J. sur saint Louis, Romania, oct. 1894.