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l'éloquence politique.

Bossuet. Dans d’autres, il répétait mot pour mot ce que lui avait fourni l’avocat Pellenc. Pour ses discours à l’Assemblée nationale, le même Pellenc, le Genevois Étienne Dumont, Clavière, Duroveray lui fournissent des matériaux, des plans, des développements entiers : il utilisait même, dit-on, les billets qu’on lui faisait passer à la tribune, et qu’il lisait tout en parlant. « Mais, disait Dumont, qu’importe d’ailleurs ? S’il sait mettre à contribution ses amis, s’il sait leur faire produire ce qu’ils n’auraient jamais fait sans lui, il en est véritablement l’auteur. » Du moins, nous sommes assurés par ses travaux antérieurs de la capacité de son esprit, de l’étendue de ses connaissances : si, accablé d’affaires, il dut recourir à des secrétaires pour la préparation de ses discours, c’était une économie de temps, et non un supplément de génie qu’il y cherchait. Il dirigeait leur travail, le contrôlait, le gardait ou le modifiait selon ses vues, l’animait de son éloquence.

Après tout, c’est par l’intelligence que vaut Mirabeau. Il a des appétits, des passions physiques ; il a des facultés oratoires, le don de brider et de passionner : mais nulle sensibilité de l’âme, au fond ; toujours de sang-froid, maître de lui, l’esprit net, agile, subtil, un esprit à la Montesquieu, comme l’a très bien vu M. Faguet, qui s’enveloppait d’une éloquence à la Rousseau. Regardez-le dans sa carrière politique : jamais le sentiment ne lui a arraché un discours, inspiré un acte ; tout en lui est d’un politique qui observe et calcule. Il a un tempérament d’homme d’État parlementaire, un souci de la légalité, des formalités même et des règlements, qui le fait patienter, temporiser, négocier avec une prudence incroyable, lorsqu’il s’agit d’amener les deux premiers ordres à se réunir au Tiers. Les phrases retentissantes qu’on cite de lui n’y font rien : il n’a rien du révolutionnaire, que les circonstances qui le produisent ; c’est un homme du centre gauche, et il excelle à la politique de couloirs. Il croit aux fictions constitutionnelles, aux contrepoids qui assurent le délicat équilibre des pouvoirs : il sait exactement le point jusqu’où l’exécutif doit aller, la ligne que le législatif ne doit jamais franchir. Il a vu que la Révolution ne pouvait se sauver que par une translation de propriété qui intéresserait des milliers d’individus à garantir l’ordre nouveau : mais les biens du clergé vendus, les privilèges de la noblesse supprimés, l’égalité civile et politique établie, la liberté assurée, la royauté devenue constitutionnelle, Mirabeau fut content ; il ne s’occupa plus que de conserver cet ordre qu’il estimait conforme au gouvernement idéal ; et comme pour le fonder il avait fallu vaincre la royauté, tout son soin tendit à fortifier la royauté. Il espérait y trouver le frein capable de retenir l’État sur la pente où il glissait, sur la pente du despotisme parlementaire. C’est