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CHAPITRE III

L’HISTOIRE

Origine de l’histoire en langue vulgaire. — 1. Villehardouin : chevalier et chrétien, mais positif et politique. Le goût de l’aventure, et le pittoresque dans sa chronique. Intentions apologétiques. — 2. Joinvilie : relation de son œuvre aux vies de saints. — 3. Caractère de Joinville. Comment il a vu saint Louis. L’imagination de Joinville ; le don de sympathie.

L’histoire ne fut d’abord qu’un rameau détaché des chansons de geste. Le respect même et la foi sans réserve qu’on prêtait aux anciennes légendes de Charlemagne ou de Guillaume au Court Nez suscitèrent de nouveaux poèmes d’un caractère plus strictement historique : non qu’on se fit une idée plus scientifique de la vérité, ou qu’on la cherchât par une méthode plus sévère, mais simplement parce que les faits, soit extraits de chroniques latines, soit fixés tout frais et encore intacts dans une rédaction littéraire n’avaient point subi la préparation par laquelle l’imagination populaire forme l’épopée.

C’est pour les croisades d’abord qu’on eut l’idée d’appliquer la forme des chansons de geste à des faits contemporains, assez extraordinaires et lointains pour exciter une vive curiosité. La Chanson d’Antioche et la Chanson de Jérusalem (1re moitié du xiie siècle) donnent l’histoire peu scientifique et nullement critique, mais rien que l’histoire de la première croisade. Par malheur ces poèmes se continuent par des récits de plus en plus romanesques, extravagants et grossiers ; et quand ce n’est pas la fantaisie des auteurs qui falsifie l’histoire, c’est leur cupidité : il leur arrive de prendre de l’argent des barons qui veulent être nommés dans leurs prétendues chroniques[1]

  1. Éditions : Antioche, P. Paris, 1848. 2 vol. ; Jérusalem, E. Hippeau, in-8, 1868. À consulter : Pigeonneau, le Cycle de la croisade, in-8, 1877.