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la littérature française et les étrangers.

assuré la diffusion. Fontenelle ne devait rien à l’Angleterre, et tout le xviiie siècle français est déjà dans Fontenelle.

L’Allemagne nous prend beaucoup, nous rend tard et peu [1]. Gottsched fonde l’école de l’imitation française. Lessing combat Gottsched : mais les maîtres de Lessing sont Bayle, Voltaire et Diderot. Diderot est le véritable créateur du théâtre allemand : les théories et les drames de Lessing en viennent. Voltaire est celui qui révèle Shakespeare à Lessing. Wieland porte dans toutes ses œuvres et toute sa vie l’empreinte profonde des idées et de l’esprit français. Montesquieu est le docteur des hommes d’État. Mais l’idole des Allemands, celui qui laisse la trace la plus profonde dans la pensée allemande, c’est le sérieux et sensible, le Suisse et protestant Rousseau. Son influence se retrouve partout pendant un demi-siècle. Kant avouera qu’il lui doit sa morale. Fichte en procède, et Jacobi. C’est Rousseau qui développe en Allemagne un libéralisme exalté, la haine effrénée du despotisme, des privilèges nobiliaires, de l’oppression sociale : du Discours sur l’inégalité, du Contrat social sont sortis les Brigands (1780) et Intrigue et Amour de Schiller. Il favorise l’expansion de la littérature sentimentale, du lyrisme romanesque ou pittoresque. Sans doute, à la fin du siècle, les œuvres des Allemands commencent à pénétrer chez nous : on adapte, on traduit leurs drames, on s’enthousiasme pour le Werther de Gœthe [2], pour les idylles de Gessner. Il y a harmonie parfaite entre le goût Louis XVI et la sensibilité allemande. Mais le mouvement de notre littérature n’en est aucunement modifié : ces succès ne sont pas des influences ; ce ne sont que des aliments où notre appétit trouve à se satisfaire.

Dans les littératures scandinaves, dans les littératures slaves, on trouvait à signaler encore l’influence de nos écrivains français, plus ou moins combattue ou limitée à la fin du siècle par celle des Anglais et des Allemands, prépondérante surtout en Russie avec Lomonosof et Soumarokof.

  1. À consulter : L. Crouslé, Lessing et le goût français en Allemagne, in-8, 1863. E. Crucker, Lessing 1896, in-8. Joret. Essai sur les rapports intellectuels de la France et de l’Allemagne avant 1789. L. Lévy-Bruhl, l’Allemagne depuis Leibniz, Paris, 1890, in-12 ; la Philosophie de Jacobi, in-8, 1894. V. Rossel, Histoire des relations littéraires entre la France et l’Allemagne, Paris, 1897, in-8. J. Texte, les Origines de l’influence allemande sur la littérature française au xixe siècle, Rev. d’Hist. litt., 15 janv. 1898.
  2. Traduit en 1776. — N. de Bonneville, Choix de petits romans imités de l’Allemand, 1786, in-12 ; Mme  de Montolieu. Caroline de Lichtfield, 1780, 2 vol. in-12. — Haller, Poèmes suisses, tr. Racine. Klopstock, Messinde. ch. I-IX. 1769. 2 vol. in-12 (tr. d’Antolmy. Junker, etc.). Gessner, tr. diverses par Huber, Turgot, Meister, de 1760 à 1773, tr. générale, 1786-93, 3 vol. in-8. Choix de poésies allemandes, par Huber, 4 vol. in-8, 1766. Ramler, Poésies lyriques. 1777. — Théâtre allemand, tr., Junker et Liébaut. 1770-1785, 40 vol. in-8. Nouveau théâtre allemand, tr. Friedel et Bonneville, 1782 et suiv.