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les tempéraments et les idées.

Restauration. La littérature du temps de la reine Anne, avec Addison, Pope, Dryden, est gagnée aux idées d’ordre, de méthode, de raison, d’imitation fidèle et correcte de la nature, qui sont les caractères sensibles de nos œuvres classiques. Le fond anglais subsiste toujours : mais il s’accommode de son mieux aux principes de l’art français. Les traductions de Boileau se multiplient, et le P. Le Bossu même, le P. Rapin font autorité. Ainsi c’est par l’Angleterre que commence cette universelle domination de l’esprit français, qui sera l’un des faits les plus considérables de notre histoire littéraire et sociale au xviiie siècle.


1. LA LITTÉRATURE FRANÇAISE À L’ÉTRANGER.


Pour les nations méridionales, d’abord, les rôles sont renversés : elles nous empruntent et nous imitent. l’Italie échappe par le goût français aux fadeurs et aux affectations du marinisme. Corneille et Racine donnent des modèles à Zeno ; et, malgré ses fureurs de misogallo, Alfieri leur doit, ainsi qu’à Voltaire, plus qu’aux Grecs. Molière offre à Goldoni l’idéal où il essaie d’élever la comédie de son pays. Enfin l’esprit de nos philosophes, de Montesquieu, de Voltaire, imprègne ces vives intelligences italiennes ; un Français, Condillac, est appelé à instruire le prince de Parme, et l’on peut dire que les premiers pays où des essais de gouvernement libéral et bienfaisant fassent passer dans les faits un peu des rêves de notre philosophie humanitaire sont de petits États d’Italie. L’Espagne, avec son Charles III qui a d’abord régné à Naples, le Portugal, entrent dans la même voie : dans ces pays, le gouvernement même se met à la tête du mouvement philosophique. Littérairement aussi, notre influence s’établit. Boileau jadis était tout fier d’avoir trouvé un traducteur portugais, le comte d’Ericeyra. Depuis que le marquis de Luzan a mis en castillan l’Art poétique de Boileau et le Préjugé à la mode de La Chaussée, la plupart des écrivains sont afrancesados : à la comedia nationale succèdent le drame larmoyant, la tragédie pompeuse, la comédie à la façon de Molière, ou plutôt de Destouches ou de Picard [1].

L’Angleterre s’est francisée autant qu’elle pouvait l’être : cela la met en état de nous rendre l’équivalent de ce que nous lui avons prêté. Addison, Pope, Otway n’effaroucheront pas nos Français amateurs d’élégance et de bonne tenue. Dès la fin du règne de Louis XIV, cette réaction de la littérature anglaise sur la nôtre se

  1. Voyez les pièces de Jovellanos et de Moratin.