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jean-jacques rousseau.


1. VIE DE J.-J. ROUSSEAU.


Fils d’un horloger de Genève, orphelin de sa mère que deux bonnes tantes remplacent mal, Jean-Jacques [1] est élevé par un père léger, qui le grise de romans, où tous les deux passent les nuits jusqu’à ce que les premiers cris des hirondelles leur rappellent d’aller se coucher ; il se grise ensuite d’héroïsme, en lisant Plutarque. Le père, pour une méchante affaire, est obligé de quitter Genève (1722) : il laisse son fils, dont il ne s’occupera plus guère, à l’oncle Bernard, homme de plaisir, à la tante Bernard, dévote austère, qui mettent l’enfant en pension chez le pasteur Lambercier à Bossey, près de Genève, au pied du Salève. Là se marquent les premiers traits du caractère de Rousseau, l’amour des arbres, de la campagne, de la nature. Ramené à Genève, il est placé chez un greffier qui n’en peut rien faire, puis chez un graveur qui le bat, à qui il vole ses asperges, ses pommes : il est alors enragé de lecture, il se farcit la tête de tout le cabinet de lecture voisin, malgré son maître qui brûle tous les livres qu’il attrape. Jean-Jacques se trouvait misérable : une occasion l’affranchit ; un jour qu’il a polissonné dans la campagne, il trouve les portes de Genève fermées. Il accepte l’arrêt que semble lui signifier la Providence : il décide de ne plus rentrer chez son graveur, ni chez son oncle.

Le voilà vagabondant en Savoie (1728) : un curé qui l’héberge une nuit l’adresse à Mme  de Warens, une dame qui s’occupait de conversions, échappée elle-même de la Suisse et du calvinisme ; elle habitait Annecy. Elle fait bon accueil au jeune huguenot, que sa charmante figure recommande ; elle l’envoie à l’hospice de Turin, où il se laisse facilement convertir. Après quoi, on le met dehors, avec une vingtaine de francs en poche ; notre catéchumène flâne dans Turin, entend la messe du roi, où ses sens s’éveillent à la musique ; et comme il faut vivre, il se fait laquais. Dans sa première place, il vole un ruban, et accuse une servante qu’il fait chasser ; dans la seconde, son intelligence, son érudition ramassée au hasard le font remarquer ; son maître s’intéresse à lui. Mais il s’ennuie dans la vie régulière : il s’associe avec Bâcle, un aventurier pire que lui ; les deux drôles courent le monde en montrant la curiosité. Annecy et Mme  de Warens attirent Rousseau, et il lâche son compagnon : il est reçu cordialement, et l’on essaie de lui ouvrir une carrière. On pense d’abord à le faire prêtre, et il entre au séminaire : puis on le tourne vers la musique, dont il donnera

  1. Né le 28 juin 1712.