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les tempéraments et les idées.

descriptions voluptueuses. Lorsqu’on sut que l’auteur était un président à mortier du parlement de Bordeaux, la légèreté du livre parut plus amusante encore par le contraste qu’elle faisait avec la gravité de la profession du magistrat. Le fin Gascon n’était pas sans avoir prévu la chose.

L’Asie était à la mode à la fin du xviie siècle. On avait lu avec curiosité les récits de Bernier, de Chardin, de Tavernier. La traduction des Mille et une Nuits, que Galland donna en 1708, avait déposé dans les esprits toute sorte d’images des mœurs et des coutumes orientales. L’opposition de ce monde au nôtre sautait aux yeux : de là à choisir un Oriental pour critique de nos travers et de nos préjugés, il n’y avait qu’un pas ; et Du Fresny donna, en 1707, les Amusements sérieux et comiques d’un Siamois. Telle est l’origine de la fiction du livre de Montesquieu. Il suppose deux Persans, Usbek et Rica, qui viennent en Europe, à Paris, dans les dernières années de Louis XIV. Mais ils reçoivent des nouvelles de leurs pays, de leurs familles ; et l’on conçoit comment peut là-dessus s’exercer l’imagination d’un jeune Français sous la Régence, avec quelle curiosité libertine il mettra en scène la vie oisive et voluptueuse du sérail, des femmes très blanches surveillées par des eunuques très noirs, des passions ardentes, des jalousies féroces, des désirs enragés. Mais ce n’est là qu’un ornement. L’essentiel, dans le livre, ce sont les impressions des deux Orientaux jetés au travers de notre civilisation. Tout les étonnera, les choquera : je dis tout, sans distinction, pêle-mêle ; et la confusion innée à l’esprit de l’auteur y trouvera son compte. Les plus superficielles peintures s’entremêleront aux plus graves études.

Le superficiel, c’est la critique des mœurs. La Bruyère était moins profond que Molière, Lesage moins profond que La Bruyère : Montesquieu est plus loin de Lesage que Lesage ne l’est de Molière.

    de ses Lettres persanes, fut reçu à l’Académie en 1728, voyagea ensuite en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, en Italie, en Suisse, en Hollande, en Angleterre, ou il resta près de deux ans (1729-1731). Il mourut le 10 février 1755.

    Éditions : Lettres persanes, 1721, in-12, Amsterdam et Cologne ; Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains, Amsterdam, 1734, in-12 (anonyme) ; De l’esprit des Lois, Genève, 1748, 2 vol. in-4 (sans nom d’auteur) ; Paris, Huart, 1750, 3 vol. in-12. Œuvres complètes, éd. Richer, 1758 ; éd. de Laboulaye, Paris, Garnier, 1875-1879, 7 vol. in-8. Deux Opuscules de Montesquieu, publ. par le baron de Montesquieu, Bordeaux et Paris, 1891, in-4 ; Mélanges inédits de M., par le même, Bordeaux et Paris, 1892, in-4 ; Voyages de M., par le même. ibid., 1895-1896, 2 vol. in-4 Pensées et fragments, 1899, in-4.

    A consulter : Sorel, Montesquieu (Coll. des Gr. Écriv. fr.), Paris, 1887. Faguet, XVIIIe siècle. Vinet. ouvr. cité. F. Brunetière, Études critiques, 4e série. Durckheim, Quid Secundatus politicæ scientiæ contulerit, Bordeaux, 1892. Barckhausen, Montesquieu, l’Esprit des lois et les archives de la Brède, 1904 ; Montesquieu, ses idées et ses œuvres d’après les papiers de la Brède, 1907.