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la jeunesse de voltaire.

de voir se décrier les défenseurs de la morale austère. L’ennemi pour lui, c’est la morale de l’Évangile, que le jansénisme montre dans sa dureté : c’est Pascal, dont la forte logique l’impose avec le dogme. Aussi le premier dessein philosophique de Voltaire sera-t-il de prendre Pascal corps à corps, et de ruiner le raisonnement janséniste par la raison laïque.

Voltaire, l’éternel moribond, est, par sa débile organisation, condamné à n’être qu’un assez piètre débauché. Donc, ne pouvant mieux, il convertit la sensualité en indécence de langage. Il la dérive aussi vers l’amour du comfort, du bien-être, du luxe ; et les tendances aristocratiques de sa vanité s’unissent à la délicatesse de son tempérament pour lui faire estimer à très haut prix tous les raffinements de la civilisation. Enfin il a des besoins d’esprit, qui lui font mettre les plaisirs sociaux et littéraires parmi les nécessités premières de la vie. Il est aussi peu que possible l’homme de la nature : sa nature à lui, c’est d’être au plus haut degré l’homme de la société. Aussi sa philosophie sera-t-elle matérialiste, pratique, mondaine : elle se résumera, à ce point de vue, dans le Mondain (1736), cri de satisfaction optimiste de l’homme riche, bien vêtu, bien nourri, bien servi, flatté dans tous ses sens par les multiples commodités de la vie civilisée.

O l’heureux temps que ce siècle de fer !

Il admirera chez les Anglais l’entente de la vie matérielle. Il s’indignera qu’on ne respecte pas les agents et les producteurs des plaisirs : l’excommunication des comédiens, les préjugés mondains sur leur profession seront pour lui des monstruosités. De là son éloquente protestation sur la mort de Mlle  Lecouvreur : il louera l’Angleterre autant pour avoir enterré Mrs  Oddfields à Westminster que pour y avoir mis Newton. Toujours au même ordre d’idées appartiendront ces préoccupations de Voltaire, si neuves alors et si originales chez un homme de lettres, sur des questions de voirie, d’administration, de financés, de commerce : il se passionne pour les Embellissements de Paris [1]. Entre 1740 et 1750 se dessine nettement l’idée qui tiendra tant de place dans la polémique voltairienne : l’idée que le devoir essentiel d’un gouvernement, c’est de procurer le bien-être matériel, le plus de bien-être possible, et que l’humanité a plutôt affaire de sage administration que de glorieuse politique.

Un des besoins impérieux de Voltaire, et qui tient aux racines

  1. Morceau imprimé dans un recueil de 1750 ; autre morceau des Embellissements de Cachemire, écrit en 1749 ou 1750, imprimé en 1756.