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les tempéraments et les idées.

riences, étudie Newton. Elle oblige Voltaire à faire comme elle ; ils sont lauréats de l’Académie des sciences, elle pour le prix, lui avec la mention. Voltaire parfois se révolte : « Ma foi, dit-il, laissez là Newton, ce sont des rêveries, vivent les vers ! » Elle, au contraire, le persécute pour que ce poète ne fasse plus de vers.

C’est prudence plutôt qu’aversion : elle se souvient du Mondain, une apologie du luxe, irrespectueuse de la Bible, pour laquelle Voltaire a dû précipitamment aller voir la Hollande en 1736. Elle tient sous clef la Pucelle, arrête le Siècle de Louis XIV. En somme, cette influence est bienfaisante : elle « lui sauve beaucoup de folies » ; Mme  de Graffigny en témoigne : « S’il n’était retenu, dit-elle, il se ferait bien des mauvais partis ». Elle a soin de sa dignité aussi ; elle l’empêche de se perdre dans d’avilissantes polémiques contre les Desfontaines [1] et autres folliculaires.

Après dix ans d’absence, Voltaire reparaît à Paris ; et soudain une méchante comédie faite pour le mariage du Dauphin le met en faveur à la cour. Coup sur coup, le voilà académicien [2], historiographe du roi et gentilhomme de la chambre, poète officiel, rédacteur politique, négociateur secret : il va réaliser en France ce qui l’avait émerveillé en Angleterre. Des vivacités de langue, exploitées par des envieux, le brouillent avec Mme  de Pompadour. Il quitte la cour ; on le voit chez la duchesse du Maine, à Sceaux et à Anet, à Cirey de nouveau, à Lunéville chez le roi Stanislas, toujours travaillant, écrivant, jouant la comédie, mais déjà plus grand personnage, indépendant de tous, égal à tous, et ne se gênant pour personne.

Ce fut à Lunéville qu’il perdit Mme du Châtelet (septembre 1749). Il revient à Paris, s’y installe une maison, que Mme  Denis, une de ses nièces et veuve, est appelée à tenir. Il a chez lui un théâtre où il essaie ses pièces : c’est là qu’il découvre Lekain, le grand tragédien du temps. À cette date, Voltaire est formé. Le siècle l’avertit de se donner au combat philosophique, s’il veut rester maître de l’opinion. Mais, dès ses premières attaques [3], il sent que le séjour de Paris lui est impossible. Il accepte alors les offres du roi de Prusse, qui lui promet sûreté, faveur et liberté. C’était la dernière expérience qui lui restait à faire.

  1. Voltaire, blessé des critiques de l’abbé Desfontaines, lança le Préservatif (1738, in-12), auquel l’abbé riposta par la Voltairomanie (1738, in-12).
  2. Il est reçu le 9 mai 1746 par l’abbé d’Olivet.
  3. Il écrit en 1746 une Lettre à M. de Machault sur l’impôt du vingtième (imprimée seulement en 1829) ; il fait imprimer, en 1750, le Remerciement sincère à un homme charitable, contre les Nouvelles ecclésiastiques, puis la Voix du sage et du peuple (condamnée en cour de Rome et par arrêt du Conseil, en 1751, Voltaire étant déjà en Prusse).