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la fin de l’âge classique.

passer devant nos yeux une foule d’idées, que Fénelon tantôt effleure et tantôt développe : sur les poètes et les orateurs anciens, sur les Pères de l’Église, sur la poésie biblique qu’il a profondément sentie, sur l’architecture gothique, dont il parle comme tout son temps avec ignorance et dégoût, etc. Remontant, comme fait Platon, aux principes premiers et évidents, il ramène l’éloquence de la chaire à l’éloquence en général, et de là il passe aux beaux-arts, pour chercher son principe dans une théorie contestable et dangereuse : il pense que l’œuvre d’art doit avoir un but moral. Heureusement il ne sentira nulle part de beauté qu’il ne sache y trouver assez d’intention morale pour satisfaire au principe.

Un bon nombre des idées des Dialogues se retrouvent dans la Lettre à l’Académie, qui fut composée près de trente ans plus tard. L’Académie, sur le point d’achever la révision de son dictionnaire, se demanda, et demanda, à chacun de ses membres, ce qu’elle pourrait bien faire ensuite. Fénelon envoya sa consultation dans un court mémoire, qui fit tant de plaisir, qu’on lui demanda de le publier. Il le reprit, et l’étendit pour le rendre plus digne de l’Académie. Il propose à l’Académie de faire une grammaire, une rhétorique, une poétique, des traités sur la tragédie, la comédie, l’histoire ; et à ce propos il dit ses idées, ses impressions, son goût sur les genres et sur les œuvres.

Il écrit au moment où l’esprit français vient d’acquérir la domination sur le monde civilisé, où la langue française devient universelle : on le sent, à la préoccupation qu’il a de rendre notre langue plus accessible aux étrangers par la simplification de la grammaire. Mais, dans les pages qui suivent, le voilà qui veut tout brouiller : il se plaint de la pauvreté de la langue, il regrette l’épuration à laquelle Malherbe, Vaugelas et leurs contemporains ont procédé ; il regrette le court, nerveux et pittoresque langage du xvie siècle. Est-ce un précurseur du romantisme qu’on entend ? Non : Fénelon nous ramène à Ronsard, ou plutôt à Du Bartas, presque à l’écolier limousin : il rêve d’inutiles synonymes, des composés de forme grecque ou latine, toute une fabrication artificielle de mots littéraires. Cela nous arrive souvent avec Fénelon : il a l’air d’un révolutionnaire, et il est effrénément réactionnaire. Mais il est le premier à voir l’impossibilité de ses rêves : cela ne l’embarrasse pas ; il passe légèrement sans rien retirer. C’est un causeur : il use du privilège d’incohérence et de contradiction qu’on a toujours laissé à la conversation.

Il n’y a qu’à louer son chapitre de la rhétorique : il s’attache à expliquer l’infériorité de notre éloquence politique et judiciaire à l’égard de celle des anciens. Il reprend à Fontenelle sa théorie des climats. Il indique une voie nouvelle et féconde en découvertes,