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la fin de l’âge classique.


1. PERRAULT ET BOILEAU AUX PRISES.


Il faut d’abord rappeler les faits sommairement. Nous avons parlé plus haut de ces épopées prosaïquement emphatiques, auxquelles le goût précieux avait donné naissance. Les sujets de ces « romans » en vers étaient presque tous tirés de l’histoire moderne, et ornés d’un « merveilleux » emprunté à la religion chrétienne. Un de ces auteurs, Desmarets de Saint-Sorlin, ayant donné son Clovis en 1657, crut nécessaire, lorsqu’il vit s’élever une école dont les maximes essentielles allaient, dans tous les genres, à suivre les anciens et à reprendre les sujets déjà traités par eux, de justifier le choix qu’il avait fait dans son poème d’un héros moderne et chrétien. Il multiplia Préfaces et Traités [1], et ne se défendit pas sans donner plus d’une atteinte aux poètes anciens. Il tendit ainsi à généraliser la question, et à faire le procès à toute l’antiquité. C’est contre Desmarets que Boileau, par une malheureuse application de sa doctrine, prohiba au troisième chant de son Art Poétique l’emploi de la religion chrétienne en poésie, et, juste au moment où Milton venait d’écrire son Paradis perdu (ce que, du reste, il ignorait), nia assurément la valeur poétique de Satan. Le vieux Desmarets, avant de mourir, légua sa querelle à Charles Perrault.

Vers le même temps, la lutte s’engagea sur un autre point : il s’agissait de savoir si l’inscription d’un arc de triomphe dirait la gloire du roi en latin ou en français. Il se fit de gros volumes pour et contre l’emploi des deux langues, et là encore la question tendit à se généraliser : on se mit à comparer le latin et le français, à en débattre les mérites respectifs, la capacité et l’illustration [2].

Cependant le moment de la grande bataille n’était pas venu. On s’en tenait aux escarmouches, aux actions de détail. C’était la Préface d’Iphigénie, où Racine s’égayait aux dépens de Pierre Perrault, qui avait critiqué Euripide sans l’entendre (1671). C’était la Préface d’une traduction du Seau enlevé de Tassoni, où Pierre Perrault attaquait les anciens et malmenait Boileau à mots couverts (1678). C’était une fable satirique où Claude Perrault dési-

  1. Discours imprimé dans l’édit. in-8 du Clovis de 1673 ; Comparaison de la langue et de la poésie française, in-12, 1670 ; la Défense du poème héroïque, in-4, 1674 ; la Défense de la poésie et de la langue française, in-8, 1675.
  2. À consulter : F. Charpentier, Défense de la langue française, pour l’inscription d’un arc de triomphe, in-12, 1676 ; le P. Lucas, jésuite, De monumentis publicis latins inscribendis ; F. Charpentier, De l’excellence de la langue française, 1683, 2 vol. in-12. Ce dernier ouvrage pose très nettement la question des anciens et des modernes.