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les protestants.

qu’à s’en tirer à son honneur. Du vrai, de l’efficacité, il n’en a cure, pourvu qu’on dise qu’il a bien prêché. L’art et l’esprit profanes envahissent le sermon, qui devient un pur développement de philosophie morale, embelli plus ou moins de traits ingénieux et surprenants.

Le dernier des grands orateurs de la chaire masque cette décadence, sans l’enrayer. Massillon [1], oratorien, homme doux et timide, enseignait dans les collèges de son ordre, quand on le força à prêcher : il débuta à Paris en 1698 ; son succès fut considérable. Il avait la voix touchante et sensible, l’action pathétique. Cet homme doux était parfois effrayant en chaire. Il ne parlait que de crimes et de supplices : il fermait la porte à l’espérance. En un autre temps, il eût découragé les fidèles. En réalité, il faisait son métier, et ses auditeurs le prenaient bien ainsi. Cet ancien professeur de rhétorique avait une vraie foi, une émotion sincère, et de là une forte éloquence qui éclatait parfois : mais à l’ordinaire il ne pouvait se tenir d’amplifier sa matière, avec force hyperboles et grands mouvements. Il développait de belles périodes, avec une exubérance cicéronienne : le malheur était qu’une fois entré dans un tour, il n’en sortait plus, il le représentait avec insistance, jetant toutes ses phrases dans le moule qu’il avait d’abord choisi.

Son pire défaut est ce qui l’a fait préférer de Voltaire, de La Harpe et des Encyclopédistes, entre tous les prédicateurs. Il efface le dogme, il cite à peine l’Écriture, sa prédication est toute morale, toute philosophique, presque laïque. Si l’on excepte les formules traditionnelles, rien n’y sent le chrétien.

Après Massillon, il n’y a plus rien. On goûte des parleurs académiques [2], élégants, descriptifs, satiriques, sensibles, qui prêcheront dans le goût des vers de Saint-Lambert ou de Delille, de plus en plus fades et édulcorés à mesure que le siècle avance. Cette misé-

  1. Biographie. Massillon (1663-1742), professeur de lettres à Pezenas, de rhétorique à Montlueon et à Juilly, de philosophie à Vienne, s’applique par ordre à l’éloquence de la chaire. Carême de 1698, à Montpellier ; carême de 1699, à l’Oratoire de la rue Saint-Honoré ; en 1701 et 1704, carêmes à la cour ; oraisons funèbres du prince de Conti (1709) ; du dauphin (1711), de Louis XIV (1715) ; petit carême en 1718 ; oraison funèbre de Madame en 1723. Il devint évêque de Clermont en 1717.

    Éditions : Œuvres, 1715 ; éd. de 1817, Paris, 4 vol. in-8. — À consulter : l’abbé Blampignon. la Jeunesse de Massillon, l’Épiscopat de Massillon, Paris, Plon, in-8, 1884 ; Ingold, l’Oratoire et le Jansénisme au temps de Massillon, in-8, 1880.

  2. Les chrétiens sincères ne manquent pas : ils n’ont pas su trouver le point d’on la religion pouvait être présentée à leur siècle ; il y a un catholicisme du xviie siècle ; il y en a un du xix ; il n’y en a pas du xviiie siècle. Ses meilleurs apologistes dans la chaire, comme dans le livre, sont médiocres, malgré tous les essais de réhabilitation. — À consulter : Bernard, le Sermon au xviiie siècle, 1001 ; A. de Coulanges, la Chaire française au xviiie siècle, 1re partie, 1901.