Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/606

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
584
les grands artistes classiques.

phin l’histoire de France. Sa théorie du pouvoir royal est ce que l’on peut attendre d’un prêtre gallican, de famille parlementaire : les rois sont absolus, mais ils doivent respecter les lois, les droits des divers corps de la nation. Ce qu’ils font contre ces droits et ces lois est essentiellement nul. Mais personne, ni individu, ni corps, n’a droit de résister aux rois : ils ne sont responsables que devant Dieu, et Dieu leur demandera des comptes d’autant plus sévères qu’il est seul à pouvoir les leur demander. Cette terrible responsabilité devant Dieu est le contrepoids de l’autorité absolue que Bossuet accorde aux rois sur la terre.

Mais Bossuet ne fait la théorie de la monarchie que parce qu’elle est établie en France : sa doctrine politique, en réalité, n’est liée à aucune forme de gouvernement, précisément parce qu’elle est rigoureusement orthodoxe [1]. L’Église respecte toutes les puissances établies : aussi Bossuet est-il tout à la fois strictement et largement conservateur. Despotisme, monarchie absolue, république aristocratique, démocratie, il admet tout, avec plus ou moins de sympathie ou de répugnance : mais enfin il admet tout ; il ne demande à un gouvernement, pour être légitime, que de durer, et de faire sa fonction, qui est de garantir l’ordre, de protéger les sujets. Comme catholique il est attaché à la tradition : il aimera donc en chaque pays les formes anciennes de gouvernement. Par hérédité peut-être, à coup sûr par tempérament, il est attaché aux formes juridiques, aux procédures exactes, au mécanisme régulier de l’organisation administrative, à tout ce qui assure stabilité, sécurité : il préférera donc l’autorité, et la hiérarchie à la liberté, l’hérédité monarchique à la souveraineté populaire, où il ne voit qu’un déguisement de la force brutale.

Le Discours sur l’Histoire universelle est d’abord un abrégé chronologique de l’histoire générale, qui vaut par la brièveté lumineuse, et par un sens de la réalité dont tous ces faits arides et ces dates sèches se trouvent vivifiés. Bossuet, dans cette première partie, ne visait qu’à faire repasser au Dauphin tous ses cours. À ce simple abrégé il voulut ajouter quelques réflexions qui ont formé tout un corps de philosophie de l’histoire. Elles se sont groupées en deux parties : l’une qui explique la suite de la religion, et l’autre qui traite des empires. Celle-là, dans l’esprit de Bossuet, était la principale, et il ne considérait la troisième partie que comme une annexe de la seconde. Dans cette seconde partie, il fait voir comment s’est développée providentiellement la religion,

  1. Les encycliques de Léon XIII, et l’attitude prise par la partie du clergé de France qui a suivi le chef de l’Église, sont venues justifier l’interprétation de la Politique de Bossuet, que j’avais donnée dans mon étude.