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bossuet.

mœurs et des passions. Il établit soigneusement la base, le caractère, l’étendue du devoir : il marque exactement la source, la nature, la gravité de l’erreur, ou de la malignité qui en écarte les hommes. Les subtiles analyses, les « anatomies » du cœur humain, qui ne servent que d’amusement intellectuel, ne sont pas son fait ; il se contente d’en dire assez pour que chacun se reconnaisse, rentre en soi-même, et tâche de s’améliorer. Il a affaire à des malades qui souvent ne voient pas leur mal : il faut leur en donner le sentiment cuisant et non la connaissance théorique, et il faut leur faire apercevoir, désirer, tenter le remède.

Les sermons, selon l’usage des prédicateurs catholiques, sont divisés en deux ou trois points. Bossuet saisit fortement les deux ou trois aspects principaux de sujet, les deux ou trois difficultés importantes, les deux ou trois raisons capitales, et il va droit aux choses dont la décision emporte le reste. Une ferme et souple logique mène le sermon à son but ; Bossuet raisonne loyalement, solidement ; il excelle à résoudre les plus rudes objections, à mettre en lumière la vérité qu’elles recèlent, pour s’emparer de cette vérité et en faire un argument à son usage.

Mais la logique est la charpente ou le squelette du discours : Bossuet parle à toute l’âme, de toute son âme ; il a la tendresse, l’onction, le pathétique. Son imagination, toute pleine d’images et de visions bibliques, pleine aussi de toutes les formes, de toutes les impressions de la réalité prochaine et vivante, répand une couleur pittoresque sur le dessin de l’argumentation. Bossuet ne voit rien dans l’abstrait : toutes ses idées se chargent de sensations, et le raisonnement tourne en tableaux, en visions familières ou merveilleuses. Ce que ses yeux ne voient pas, ce dont son expérience ne lui fournit pas les formes, les prophètes et les évangélistes lui en donnent les images. Toute une poésie pittoresque, ou dramatique, une poésie d’ode ou de mystère passe ainsi dans ces expositions de dogme et ces descriptions de morale [1] ; et ce fort logicien de Navarre nous fait parfois penser à Dante ou à Milton. Il aime à élargir en symboles les personnages et les actions de l’Écriture, et il y verse toute la richesse, il y réalise toute la généralité de sa pensée. On pourrait dire que sa méthode est moins analytique que synthétique, moins psychologique que philosophique et sensible à la fois, métaphysique et poétique. Car il unit à un fond d’amples ou profondes vérités, de principes uni-

  1. Voyez comment il fait parler Dieu ou Jésus ; la méditation de Bernard dans le Panégyrique ; le chœur des démons dans le Sermon sur les démons ; la mort du mauvais riche dans le Sermon sur l’impénitence finale ; le second point du Sermon sur l’ambition.