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bossuet.

Notre éloquence serait bien peu de chose auprès de l’éloquence grecque ou romaine si nous n’avions les prédicateurs. La religion a été, dans la société du xviie siècle, la source vive de la parole publique ; et, comme le faisait très bien remarquer M. Brunetière, les discours chrétiens des Bourdaloue et des Bossuet ne sont pas inférieurs aux harangues civiles des Cicéron et des Démosthène. Si les orateurs grecs et romains touchent en nous les cordes du patriotisme et les notions générales de l’intérêt public, ce dont nous parlent nos orateurs chrétiens — le dogme mis à part, — c’est toute notre vie morale et toutes les grandes questions métaphysiques et morales, que notre conduite journalière tranchera à notre insu, si nous ne les résolvons avec réflexion ; c’est une conception générale de la vie et de l’être, qui se dégagera malgré nous de nos actes, si nous ne les dirigeons pas par elle.


1. PRÉDÉCESSEURS DE BOSSUET.


Ce serait une erreur de s’imaginer, sur la foi d’extraits trop judicieusement choisis, qu’avant Bossuet, tout est ridicule, emphatique, précieux, pédant dans les discours des prédicateurs. La vérité est, au contraire, que depuis le temps de Henri IV jusqu’au milieu du xviie siècle, la restauration du catholicisme se fait sentir dans la chaire par la gravité, la solidité de la parole chrétienne. On ne sait pas encore se priver des ornements de l’érudition profane et des coquetteries de l’esprit mondain : mais cela recouvre un fond solide de théologie, et n’étouffe point les ardeurs de la foi et de la charité. Autour de Du Perron et de François de Sales, et après eux, se présentent en grand nombre des prédicateurs distingués, évêques, docteurs, moines, Charron, Coeffeteau, Fenoillet, Cospean, les deux Lingendes, Senault, Lejeune, Desmares.

Je ne crois pas que les jansénistes aient en rien contribué au perfectionnement de l’éloquence chrétienne : ils ont fait leur œuvre par la direction et par les livres. Il y a au contraire deux corps qui, en vertu de leur institution, s’adonnent avec ardeur à la prédication : les oratoriens et les jésuites se disputent la chaire comme l’enseignement. Les jésuites, en général, donnent plus dans les agréments littéraires et mondains : les oratoriens

    édition, 1664, in-4 ; les Plaidoyers et œuvres diverses de M. Patru, nouvelle édition augmentée, etc., Paris, 1681, in-8 ; Recueil choisi, etc. (cf. plus haut). — À consulter : Sainte-Beuve, Port-Royal, t. I : Munier-Jolain, les Époques de l’éloquence judiciaire en France, Paris, Perrin, 1888, in-12.