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les grands artistes classiques.

traiter les questions, de tirer le plaidoyer hors de la contestation aride et technique, et hors de l’érudition pâteuse et pédantesque, où invite la nécessité de plaire à des auditeurs peu nombreux et généralement lettrés. Il n’y aura donc pas lieu de donner un chapitre à l’éloquence judiciaire du xviie siècle.

Il y a de l’esprit, une réelle netteté d’argumentation, mais que d’érudition lourde, d’antithèses compassées dans les plaidoyers d’Antoine Le Maitre ! Lisez le quatrième, sur la principauté du collège de la Marche : vous y verrez Platon et Sidoine appelés à décider de l’âge d’un principal. Au milieu du siècle, en 1646, une cause célèbre, celle de Tancrède qui revendiquait le nom de Rohan, soutenu par sa prétendue mère, la duchesse douairière, contre la duchesse de Chabot-Rohan et contre toute la parenté, fit parler les plus célèbres avocats du temps : Martin, pour Mme  de Rohan-Chabot, contestant que Tancrède fût le vrai et légitime frère de sa cliente, allègue Médée, et Virginie, et l’Evangile, et la femme qui ayant mis trois fois au monde des enfants morts, dit avoir rêvé qu’il lui fallait accoucher dans un bois sacré. Gaultier vient ensuite, pour le duc de Rohan-Chabot, et cite Archytas, Porphyre et les six ordres des démons, Orphée et Apollon, du grec et du latin, des vers et de la prose. Platon, Socrate, Rachel, l’empereur Henri, une princesse grecque, etc. Il montre la duchesse douairière épouvantée d’avance de l’arrêt qui lui découvrira « un enfantement sans douleur, une conception sans le secours de la génération, une filiation sans paternité », etc. « Elle craint, dit-il, que l’on lui fasse voir qu’elle a commis le larcin de Prométhée, et qu’elle veut que le feu de sa passion soit le feu dérobé du ciel qui anime un enfant supposé, lui donne un nouvel être, et falsifie l’ouvrage de la nature. » Enfin Patru se présente pour le duc de Liéthune et autres parents : « Messieurs, dit-il, l’intérêt de mes parties est tout visible : on veut leur donner un inconnu pour parent. » Cette simplicité repose. Ce n’est pas qu’il n’y ait encore parfois de la boursouflure et du pédantisme dans les plaidoyers de Patru : mais, en général, il sait se passer d’éloquence ; on lit encore avec intérêt certains de ses discours qui nous mettent bien au courant des affaires. Ainsi s’explique la renommée dont il jouit en son temps ; et, si elle dépasse son mérite, elle fait honneur au goût de ceux qui la lui ont donnée [1].

  1. Biographie : Antoine Le Maitre, neveu d’Arnauld d’Andilly et d’Antoine Arnauld, né en 1608, se fit une grande réputation au barreau ; sa retraite à Port-Royal en 1638 fit grand bruit. Il mourut en 1638. — Olivier Patru, né en 1604, mort en 1681, fut de l’Académie en 1640. Lié avec Vaugelas, Balzac, D’Ablancourt, plus tard avec Boileau et La Fontaine, il faisait autorité en matière de langage et de goût.

    Éditions : les Plaidoyers et harangues de M. le Maistre, Paris (1657), dernière