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les grands artistes classiques.

non la plaisanterie moderne : de là sa rigueur contre Molière, qu’il trouve trop peuple, entendez trop chaud, trop franc, trop grossièrement vivant. Voilà la grande erreur et la grande inconséquence de Boileau dans sa théorie du comique : et c’est autrement grave que de proscrire le mélange du rire et des larmes, que de condamner à l’avance le drame, les pièces mixtes.

Il y a un point où le naturalisme classique diffère beaucoup de celui de nos contemporains. Il ne regarde pas seulement l’objet ; il regarde aussi l’esprit humain, auquel il veut présenter l’objet ; et tant par une règle d’urbanité mondaine que par une tradition artistique de l’antiquité, il fait effort pour présenter l’objet par ses caractères agréables à l’esprit. Il se dorme pour mission de mettre en contact les deux natures, celle des choses et celle du public, et il tient compte de l’une aussi bien que l’autre. C’est une chose curieuse que cet art du xviie siècle qu’on accuse de n’avoir connu que la froide raison, est celui qui fait le plus une loi d’adapter la nature à l’esprit, et qui pose nettement le plaisir comme sa fin suprême, comme la condition nécessaire et presque suffisante de la perfection. À la tragédie, il donne un ordre d’émotions ; à la comédie, un autre : et la représentation vraie des choses ne lui suffit pas, si on ne donne à cette représentation un agrément ou pathétique ou plaisant. Et voilà encore qui limite le choix ou détermine l’expression des objets : il en faut extraire, ou il y faut insinuer un caractère sensible, par où ils soient doux à l’âme. Cette méthode n’est pas sans danger, elle peut mener à humaniser la nature à l’excès ; mais le génie consistera à trouver des agréments dans la vérité, et à faire que le plaisir du public soit attaché aux mêmes choses où consiste la fidélité de l’imitation.

De cette conception du but de l’art, résultent certaines particularités du langage de Boileau ; au vrai, au simple, au naturel, qu’il réclame, s’ajoutent des expressions faites d’abord pour inquiéter : le pompeux, le noble, le fin, l’agrément, l’ornement. En général, ces mots qui impliquent une intervention de la personne de l’artiste et une accommodation de la nature à l’esprit, se rapportent à l’idée, que l’art ne saurait se passer de plaire. Sa fonction consiste à établir un rapport entre les choses et l’esprit, de façon que l’esprit goûte la vérité des choses. Mais la grande loi reste toujours la vérité, d’autant que ces natures tout intellectuelles du xviiee siècle ne sauraient se plaire aux objets où leur raison ne trouve point de vérité. Il ne faut pas par conséquent attacher trop de sens, ni un mauvais sens, à toutes les expressions de Boileau qui nous semblent des dérogations à la probité ordinaire de son naturalisme. J’ai signalé ses défaillances particulières : elles n’altèrent point la portée générale de sa doctrine. Il faut en