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les grands artistes classiques.

ce qui n’était pas sens pratique et vertu utile. Née dans une prison, orpheline de bonne heure, enfermée dans un couvent pour y être convertie, nourrie par charité chez des parents sans tendresse, la petite fille de D’Aubigné épouse à seize ans Scarron, un bouffon infirme, pour échapper à la misère, où le veuvage la replonge. Elle vit d’une petite pension, et des cadeaux de quelques amis, qu’elle s’ingénie à payer par des services : à l’Hôtel d’Albret, à l’Hôtel de Richelieu, chez les Montchevreuil, elle porte sa belle humeur, son activité, son humilité, tenant peu de place, et faisant toutes les besognes. La voilà chargée d’élever les enfants de Mme de Montespan : c’est le coup de fortune, qui change sa vie. Peu goûtée de Louis XIV d’abord, elle le séduit à force de douceur et de raison, elle est sa confidente, son amie, jusqu’à ce que la mort de Marie-Thérèse la fasse femme du grand roi. Elle n’avait pas songé d’abord à cette grandeur. Elle avait voulu seulement s’assurer de quoi ne pas manquer de pain en sa vieillesse. Elle resta à la cour, sur le conseil de ses amis, de son confesseur, pour guider le roi dans l’affaire de son salut. Elle le fit dévot.

Elle ne gouverna pas le royaume. Elle ne fut pour rien dans la révocation de l’édit de Nantes. Mais ses sympathies, ses antipathies de femme et de dévote pesèrent d’un grand poids sur les décisions du roi dans le choix des ministres, des généraux, de tous ceux enfin à qui le bonheur public était confié. Elle livra ainsi l’État, dans des circonstances terribles, à des gens qui n’étaient bons que pour suivre une procession. Elle se mêla aussi directement aux affaires où les princes qu’elle avait élevés, ceux qu’elle aimait, avaient intérêt : de là son rôle dans celles d’Espagne.

En une chose, cette femme de sens eut du génie : c’est en matière d’éducation. Elle était née institutrice. De ce côté-là il n’y a presque rien en elle que d’excellent, souvent d’admirable. On sait comment elle fonda Saint-Cyr, pour élever gratuitement deux cent cinquante demoiselles nobles, à qui le roi assurait ensuite des dots pour se marier ou entrer en religion. Mme de Maintenon fut une éducatrice merveilleuse, d’un sens droit et ferme, d’une finesse singulière, d’un tact exquis, d’un art infini pour manier et façonner les âmes. Elle appliqua aux filles le grand principe pédagogique que Port-Royal avait posé : elle voulut faire des caractères droits et des esprits justes. Pour le détail, elle ramène tout au rôle futur de la femme : il faut qu’elle soit à la hauteur de tous les devoirs, et il faut qu’elle aime tous les devoirs. Peut-être tend-elle trop à développer les vertus actives qui rapportent : on sent dans cette morale un peu terre à terre une femme que la vie a battue et rapetissée. En somme, son œuvre à Saint-Cyr est excellente, et ses Lettres nous l’y font estimer, aimer même. Là,