Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/504

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
482
les grands artistes classiques.

partie et la base même de sa politique. Il s’entendait étonnamment à évaluer les actions ou les réactions que pouvait fournir chaque homme, de façon à y proportionner son jeu. Il faut lire avec quelle sûreté il joue de Gaston d’Orléans ; il en connaît le ressort, la peur ; mais il sait exactement les degrés et les moments, quelle pression, en quelles circonstances, produira la passivité, l’activité ou sentimentale ou oratoire ou physique, enfin le courage même.

Retz est un grand écrivain, mais il date de Louis XIII plutôt que de Louis XIV. Il a une propriété, une vivacité singulières d’expression : plus de corps et de couleur que de délicate élégance, de la vigueur même dans la finesse ; de longues périodes chargées d’incidentes et de participes, un large emploi des pronoms, souvent bien éloignés du nom qu’ils ont charge de suggérer, des archaïsmes, de libres tournures : à ces dernières marques surtout, on reconnaît un style formé avant les Provinciales.


3. LES LETTRES : SÉVIGNÉ ET MAINTENON.


Les recueils de lettres [1] sont plus nombreux encore que les Mémoires, et peut-être encore plus agréables : cette richesse et cette perfection s’expliquent aisément par la vie de société qui fait du commerce des esprits une des nécessités de l’existence, et qui, les affinant, leur impose de n’offrir à autrui que le meilleur d’eux-mêmes. Dans ce grand nombre de correspondances, je choisirai celles qui, n’émanant pas des écrivains, éclairent le mieux l’histoire littéraire, ou l’enrichissent le plus. Il convient de faire une place au roi [2], qui dans ses Mémoires et dans ses Lettres, se montre à son avantage, avec son sens droit et ferme, son application soutenue aux affaires, sa science délicate du commandement : une intelligence solide et moyenne, sans hauteur philosophique, sans puissance poétique, beaucoup de sérieux, de dignité, de simplicité, une exquise mesure de ton et une exacte justesse de langage, voilà les qualités par lesquelles Louis XIV a pesé sur la littérature, et salutairement pesé.

Parmi les courtisans et gentilshommes dont on a des lettres, deux nous arrêteront comme des types largement représentatifs : Bussy et Saint-Evremond, deux hommes d’esprit dont l’esprit

  1. Principales correspondances du siècle : Malherbe, Vincent de Paul, Descartes, Poussin, Voiture, Balzac, Chapelain, Méré, Guy Patin, Retz, Mme  de Sablé, Mlle  de Scudéry, Louis XIV, La Fontaine, Bussy, Racine, Bossuet, Fénelon, Saint-Evremond et Ninon, Sévigné, Maintenon. Cf. notre Choix de Lettres du xviie s., Hachette, in-16.
  2. Œuvres, 1805, 6 vol. in-12 ; cf. Baudrillart, Philippe V et la cour de France, Didot, 2 vol. in-8.