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la première génération des grands classiques.

Le plan que Pascal se proposait de suivre est connu dans ses grandes lignes, d’abord par la Préface de l’édition de 1670, on Étienne Périer l’expose tel que son oncle l’avait développé devant quelques amis vers 1658 ou 1659 [1], puis par certains fragments qui se rapportent à l’ordre et aux divisions du livre. Voici la plus importante de ces notes :

« Les hommes ont mépris pour la religion, ils en ont haine et peur qu’elle soit vraie. Pour guérir cela, il faut commencer par montrer que la religion n’est point contraire à la raison ; ensuite, qu’elle est vénérable, en donner respect ; la rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu’elle fût vraie, et puis montrer qu’elle est vraie. — Vénérable, en ce qu’elle a bien connu l’homme ; aimable, parce qu’elle promet le bien (éd. Havet, art. XXIV, 26).

Si nous combinons ces indications avec le plan d’Étienne Périer, qui ne détache pas nettement la 1re et la 3e des parties distinguées par Pascal, mais les indique pourtant, voici comment nous nous représenterons le dessein de Pascal.

La religion n’est pas contraire à la raison. — Cette partie est une préparation, pour disposer le lecteur à ne point mépriser par préjugé la religion, pour lui faire comprendre qu’il se pourrait qu’elle fût logiquement défendable, pratiquement efficace. Après le discours contre l’indifférence des athées (art. IX), qui vaut comme une introduction générale de l’ouvrage, Pascal exposait sa thèse de l’impuissance de la raison, incapable de savoir tout, et de rien savoir certainement, réduite à juger des « apparences du milieu des choses » (les deux infinis, art. 1). La foi est un moyen supérieur de connaissance : elle s’exerce au delà des limites où la raison s’arrête (distinction de la raison et du sentiment ou du cœur). Mais quand cela ne serait point, quand aucun moyen ne s’offrirait à l’homme de parvenir jusqu’à Dieu, par la raison ou par toute autre voie, dans l’absolue impossibilité de savoir, il n’en faudrait pas moins faire comme si on savait. Car selon le calcul des probabilités, on a avantage à parier que la religion est vraie, à régler sa vie, comme si elle était vraie. En vivant chrétiennement on risque infiniment peu, quelques années de plaisir mêlé, pour gagner l’infini, la joie éternelle. Il faut donc vivre en chrétien. Mais désirer de croire n’est pas croire : on ne croit pas à volonté ; il faut la grâce. En attendant qu’on l’ait, et qu’on croie, on se préparera à la recevoir et à croire : on pliera la machine, on ira à la messe, on s’abêtira. On disposera le corps, l’automate, de façon que

  1. On mieux encore le plan exposé par Filleau et La Chaise dans le projet primitif de Préface dont la famille de Pascal ne vouhit pas. Étienne Périer n’a fait que resserrer le développement de M. de la Chaise. On trouve ce discours dans l’édition des Pensées de Lyon. 1687, in-12, et même déjà dans l’éd. Desprez, Paris. 1673.