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attardés et égarés.

la cour de Charles IX, et fait une tragédie lyrique de Circé pour le divertissement du roi.

Mais il a échappé par bonheur au pédantisme stérile : la passion religieuse emplit son œuvre — celle qui compte — et la fait sincère, intense et vivante. Son Histoire Universelle, œuvre d’un passionné qui s’efforce d’être juste, sa Vie écrite pour ses enfants, où il s’abandonne plus librement, sont de chaudes peintures des temps déjà lointains que D’Aubigné regrettait. Le souvenir de Tacite, qu’il admire, l’aide à maintenir sa violence de sentiment dans les bornes d’une nerveuse et grave émotion.

Rien ne l’a contenu dans ses pamphlets. Ici c’est Harlay de Sancy qui raconte et justifie son apostasie, découvrant toute la bassesse de son âme avec toute la malice du papisme par un procédé d’exposition satirique renouvelé des harangues de la Ménippée ; là c’est la bonne et solide vertu sous les traits du vieux huguenot Enay (εἶναι) qui s’entretient avec le faux et frivole honneur incarné dans le jeune papiste Fæneste (φαίνεσθαι). Dans ces deux cadres viennent s’entasser discussions théologiques renouvelées de Calvin et de Bèze, anecdotes salées sur les moines qui semblent venir de l’Apologie pour Hérodote, invectives violentes, mordantes railleries, énormes bouffonneries ; tous les adversaires de l’auteur, tous ceux qui ont mérité sa haine ou trahi son espoir, jusqu’au roi lui-même, y passent. Et ce pamphlétaire enragé trouve des traits, des scènes que lui envierait un moraliste impartial : il trouve l’accent, le geste éternellement humains, le mouvement qu’impriment à l’humaine poupée l’ambition, l’avarice, la vanité. Sancy, Fæneste par instants, deviennent des types ; et d’Aubigné fait revivre, avec une verve merveilleuse, ici les raffinés piaffeurs et faméliques de la régence, là les politiques souples et bas du règne de Henri IV. Il continue et il complète Régnier.

Mais son œuvre immortelle, ce sont les Tragiques : jaillissement de satire lyrique, à qui rien ne put se comparer, jusqu’aux Châtiments : car les admirables Discours de Ronsard sont plus oratoires. Dans le champ qu’il veut couvrir de ses couleurs, D’Aubigné trace sept compartiments : les Misères, composition générale qui rassemble sous les yeux toutes les iniquités et toutes les hontes ; les Princes, où les figures des rois persécuteurs, le féroce et le coquet ressortent avec une admirable énergie ; la Chambre Dorée, où la justice des magistrats étale ses horreurs ; les Feux, qui sont comme les annales du bûcher, le martyrologe de la Réforme depuis Jérôme de Prague et depuis les Albigeois ; les Fers, tableaux des guerres et des massacres ; les Vengeances, où apparaissent les jugements de Dieu sur les ennemis d’Israël et de l’Évangile, sur Achab et sur Néron, tout un passé sinistre qui répond de l’avenir ;