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attardés et égarés.

Plus les œuvres se multiplient, plus elles se dérèglent, et l’on dirait que la jeunesse féconde du siècle sème indifféremment la vie dans toutes les formes que le hasard lui présente. On a peine d’abord à débrouiller cette incohérence ; cependant des courants se laissent distinguer dans ces tumultueuses ondulations ; l’on s’aperçoit qu’en dépit de tout, l’instinct classique du temps l’emporte, et organise peu à peu la littérature à son image.


1. AGRIPPA D’AUBIGNÉ.


Ce n’est pas la moindre singularité de cette confuse période, qu’elle nous présente en face d’un Malherbe un Agrippa d’Aubigné [1]. Ce combattant du xvie siècle est un écrivain du xviie : sa vie littéraire ne commence guère qu’à l’heure de sa retraite politique ; ses Tragiques paraissent en 1616 [2], son Histoire universelle de 1616 à 1620, son Baron de Fæneste en 1617 et 1630 ; jusqu’en 1630, où il meurt, il ne cesse de s’escrimer de sa plume, ne pouvant plus tirer l’épée. C’est fausser l’histoire littéraire que de mettre à côté de Ronsard et de Desportes cet homme qui imprimait son œuvre sous Louis XIII, qui, dans la préface de son principal poème, grondait contre Malherbe, et le subissait pourtant. D’Aubigné, je le sais, est du xvie siècle par le génie et par le goût : mais, précisément, son originalité et sa caractéristique c’est d’être du xvie siècle en plein xvii, de n’avoir pas marché quand tout était en mouvement, et de rester, entre Richelieu et Corneille, le contemporain de Charles IX et de Garnier.

  1. Biographie : Th. Agrippa d’Aubigné, né en 1550 en Saintonge, étudia à Paris et à Genève, et prit les armes à dix-huit ans dans la troisième guerre civile. Il servit à Jarnac et à la Roche-Abeille, puis au siège de la Rochelle. En 1573, il s’attacha au roi de Navarre, et plut à Charles IX par son talent poétique. En 1576 il s’échappe de la cour avec son maître qu’il sert avec activité et dévouement. Il accuse Henri d’ingratitude ; mais il était le plus incommode et le plus exigeant des serviteurs. Il assiste à Coutras (1587), aux sièges de Paris, à la campagne de Normandie. Il ne pardonna pas à Henri IV son abjuration, mais continua à le servir : il fut gouverneur de Maillezais, vice-amiral de Guyenne et de Bretagne. Sous la régence, il prit les armes avec Rohan, et se retira à Genève en 1620 ; il s’y remaria à plus de soixante-dix ans, et mourut en 1630.

    Éditions : Histoire universelle. Paris, 1886. 4 vol. in-8 (Soc. de l’Histoire de France) ; Œuvres complètes (en partie inédites), par Reaume et de Caussade, Lemerre, 1873-92, 6 vol. in-8. — À consulter : Sayous, Sainte-Beuve, ouvr. cités ; Postansque, Th. A. d’Aubigné, sa vie, ses œuvres et son parti, Montpellier, 1854, in-8 ; Pergameni, la Satire au xvie s. et les Tragiques d’A. d’Aubigné, Bruxelles, 1882, in-8.

  2. Dès 1593, certains morceaux circulaient, et Marie Stuart même en connut quelques-uns dans sa prison.