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malherbe.

leur donne. C’est une grande affaire pour lui que de placer un repos : il estimait son écolier Maynard « l’homme de France qui savait le mieux faire les vers », parce que Maynard lui avait fait sentir la nécessité d’une pause après le troisième vers dans les strophes de six. S’il estimait Racan un hérétique en poésie, c’était surtout parce que, contre son avis et celui de Maynard, Racan se refusait à mettre une pause après le septième vers, comme après le quatrième, dans les strophes de dix. Il préférait les formes nettes et arrêtées : il n’aimait pas les alexandrins qui s’en vont en rimes plates, indéfiniment : il voulait réduire les élégies en quatrains et même en distiques.

Il exigeait très rigoureusement la justesse et la richesse de la rime. Il défendait de rimer le simple et composé, comme jour et séjour, mettre et permettre ; ou les mots trop faciles à accoupler, comme montagne et campagne, ou les noms propres, faciles toujours à enchaîner, comme Italie et Thessalie. Il condamnait la rime d’un a long avec un a bref. « La raison qu’il disait pourquoi il fallait plutôt rimer des mots éloignés que ceux qui avaient de la convenance, est que l’on trouvait de plus beaux vers en les rapprochant qu’en rimant ceux qui avaient presque une même signification ; et s’étudiait fort à chercher des rimes rares et stériles, sur la créance qu’il avait qu’elles lui faisaient produire quelques nouvelles pensées, outre qu’il disait que cela sentait son grand poète de tenter les rimes difficiles qui n’avaient point été rimées [1]. » Pour peu qu’on soit familier avec la poésie romantique, on ne peut avoir de doute sur la valeur et la portée de ces idées.

Malherbe proscrivait toute licence et toute faiblesse, cacophonie, inversion, hiatus, enjambement, manque de césure. Il faisait une guerre impitoyable aux chevilles, à ce qu’il appelait pittoresquement la bourre de Desportes. Il voulait un rythme impeccable, une forme pleine et parfaite, et qu’on ne plaignît pas sa peine. Il disait « qu’après avoir fait un poème de cent vers ou un discours de trois feuilles, il fallait se reposer dix ans tout entiers ». Il prêchait d’exemple, produisant peu, et gâtant parfois « une demie rame de papier à faire et refaire une seule stance [2] ». Voilà la leçon excellente qu’il donnait : une leçon de travail et de patience ; ce n’est pas assez dire, une leçon de grand art. Car, si d’autres avaient eu plus de génie, personne avant lui n’avait mieux vu que la poésie est un art, et que la forme d’art ne s’improvise pas. Il enseignait l’importance de la technique, et la facture serrée qui fait les chefs-d’œuvre. Le sens profond de ses boutades et de ses maussades jugements, c’est que l’intention a besoin du métier pour s’exprimer ; c’est aussi que la perfection consiste à condenser : le

  1. Racan, Vie de Malherbe.
  2. Balzac.