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la langue française au xvie siècle.

du picard, du vendomois, avec Ronsard ; du gascon, avec Monluc et Montaigne ; du lyonnais, avec Rabelais, comme cette forme aimarent si fréquente dans Pantagruel. Le latin fournit à Du Bellay, qui conseille d’user de mots purement français, ces néologismes que lui reproche Fontaine : vigiler, hiulque, oblivieux, intellect, sinueux, etc. Du Bellay introduit patrie, et Desportes pudeur. On voit entrer aussi abnégation, amplification, agitation, exercitation, innumérable, manutention, spelonque, suspition, sayette, vitupère, etc. Le grec fournit toute sorte de termes d’art, de science, de philosophie, de politique, comme ce mot de police au sens étymologique de gouvernement, comme économie, pour ménage, ou bien encore squelette, etc. Viennent ensuite les composés, que conseille Ronsard, que défend Henri Estienne et que prodigue Du Bartas : porteciel, porteflambeaux, haut-bruyant, doux-amer, etc. Le provignement fournit œillader, êbenin, larmeux, et, en dehors même de la Pléiade, périller qui est dans François de Sales, eselaver, grenouiller, qui sont dans Montaigne, etc. Les diminutifs, archerot, enfançon, etc., pullulent. Les Italiens nous envoient courtisan, escorte, spadassin, bouffon, charlatan, costume, escrime, infanterie, cavalerie, grotesque, antiquaille, réussir, etc. ; les Espagnols, colonel, algarade, hâbler, bizarre, parangon, parangonner, etc.

Même mélange dans les constructions. On y trouve des italianismes : comme ainsi soit que, là où, comme celui qui, etc. ; des hellénismes, comme le beaucoup amasser, l’être prompt à exécuter, comme aussi le fréquent usage des adjectifs neutres, l’intelligible, le choisissable, etc. Mais la lutte est surtout entre la vieille langue et le latin. Il reste dans la conjugaison des traces de l’usage du moyen âge : le latin nous donne sa proposition infinitive, qu’on trouve, il est vrai, déjà acclimatée dans Commynes et dans Marot, mais qui devient alors tout à fait commune : il nous donne aussi toutes les constructions du relatif, soit éloigné de son antécédent, soit dépendant d’un participe ou d’un infinitif, et non d’un mode personnel du verbe. Parfois les deux syntaxes concourent au lieu de se contrarier, et le latinisme vient en aide à l’archaïsme dans l’omission fréquente des pronoms sujets, dans la suppression de la conjonction que devant le subjonctif, et surtout dans l’usage si développé alors de l’inversion.

Du latin aussi viennent ces idées, arbitraires et erronées le plus souvent, d’analogie et de régularité, qui bouleversent la langue et jusqu’à l’orthographe. Grammairiens et écrivains s’imaginent rapprocher le français du latin et en panser la corruption, quand ils hérissent pédantesquement leur écriture de lettres parasites qu’ils croient étymologiques, et quand ils essaient de ramener violemment au genre masculin les mots en eur et en our dérivés du latin