Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/341

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
319
la littérature militante.

enfin les États, et cette fameuse suite de discours où, par un spirituel emploi de procédé satirique, chacun des meneurs vient se déshabiller lui-même devant le public, et livrer le secret de son égoïsme, jusqu’à ce que, dans la bouche de d’Aubray, la voix de la saine et honnête bourgeoisie française, tour à tour indignée, ironique ou piteuse, se fasse entendre.

Il ne faut pas surfaire la Satire Ménippée, même dans sa valeur littéraire. Si elle offre, dans sa partie principale, un plan arrêté et une claire composition, on y trouve aussi bien du désordre, des longueurs, peu de proportion et d’équilibre. Même la fameuse harangue de D’Aubray vaut par le détail et les morceaux, plutôt que par l’ensemble : le misérable état de Paris, ce pathétique début, qui sonne comme une péroraison cicéronienne, introduit une longue et diffuse relation, aussi peu oratoire que possible, des intrigues de la maison de Lorraine, qui nous ramène à la désolation de la ville. L’écrivain, à travers toutes les redites et les disparates, mêlant les personnalités injurieuses aux grandes généralités, la facétieuse causticité du bourgeois de Paris à la rhétorique savante de l’humaniste, finit par avoir dit tout ce qu’il faut. Là comme dans le reste de la satire, deux choses font leur effet, l’invention première et générale, cette idée de donner une représentation comique des États de la Ligue, puis le jaillissement de l’esprit, des saillies, des mots qui portent, qui peignent et qui piquent, les continuelles trouvailles de l’expression.

On a fait remarquer que, la Satire Ménippée étant de plusieurs mains, il était impossible de distinguer la part de chacun dans l’œuvre commune. A mon avis, c’est pour cela précisément que l’œuvre est littérairement d’ordre moyen : cette unité de ton résulte simplement de ce qu’aucun des collaborateurs n’a une personnalité tout à fait décidée. Bourgeois et érudits, ils écrivent en bourgeois et en érudits : ils ont l’esprit de leur classe et de leur temps : de là vient que leurs inspirations se fondent et se confondent si bien.

Mais il faut noter qu’ici encore la guerre civile et l’actualité ont aidé les esprits à secouer le joug de l’érudition, et fait passer en quelque sorte l’imitation de l’extérieur à l’intérieur de l’œuvre littéraire ; la nécessité d’être lu, compris et goûté de tous a fait que les auteurs de la Ménippée, et parmi eux un lecteur royal, n’ont plus pris aux anciens que ce qu’ils ont senti être conforme à leur raison, ce qui pouvait rendre leur pensée ou plus forte, ou plus sensible, ou plus agréable aux simples Français. Et ainsi la Ménippée tient sa place dans l’histoire de la pénétration de l’esprit français par le génie ancien.