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guerres civiles.

deux partis, mais surtout de celui qui avait la majorité du peuple et la faveur du roi.

Quand on songe combien L’Hôpital, Du Vair, Bodin, La Noue sont peu connus aujourd’hui, et combien la Satire Ménippée est sinon lue, au moins connue, on ne peut s’empêcher de trouver un peu d’injustice dans cette inégale répartition de la gloire. Car la Ménippée eut tout l’honneur de l’œuvre dont les hommes que j’ai énumérés avaient eu toute la peine. Cet immortel pamphlet n’eut pas d’action réelle : la Ligue était vaincue quand il parut. Mais il dut son succès précisément à ce qu’il vint à son heure, lorsque tout le monde était disposé à le goûter : il plaidait une cause gagnée, mais si récemment gagnée qu’un plaidoyer ne semblait pas encore superflu. Les partisans du roi y retrouvaient avec plaisir leurs sentiments : les ligueurs y trouvaient l’apologie de leur conversion ou achetée ou forcée. Le livre profitait du mouvement qui entraîne toujours l’opinion vers le vainqueur au lendemain de la victoire. En somme, il ne faut pas y voir une des forces qui opérèrent la réunion des esprits sous la royauté légitime, mais l’expression des volontés à l’instant de cette réunion. Et de là vint que son mérite et son succès ne furent pas de pure actualité : assez d’apaisement s’était déjà fait pour que la satire ne put se passer de grâce littéraire.

On sait comment la Ménippée fut composée, après l’avortement des États de la Ligue, par quelques bourgeois, laïcs ou clercs, catholiques de naissance ou protestants convertis, braves gens, sans fanatisme et sans fanfaronnade, qui aimaient la France, le roi et leurs aises [1]. Le corps de la satire est formé par la copieuse et bouffonne description des États de la Ligue. Ce sont d’abord les deux charlatans, espagnol et lorrain, qui débitent le précieux Catholicon : symbole expressif des ambitions qui entretenaient la guerre civile ; puis le pittoresque tohu-bohu de la procession ligueuse, charge plaisante de la réelle procession de 1590, mais en même temps véridique peinture de toutes les mascarades révolutionnaires :

  1. Chez J. Gillot, conseiller clerc au Parlement, demeurant quai des Orfèvres, se réunissaient, dit-on, Jean Le Roy, prêtre, J. Passerat, (cf p. 295, n. 1), N. Rapin (1535-1608), avocat, poète et soldat, P. Pithou (1539-1593) de Troyes, avocat, plus tard procureur général au Parlement de Paris, grand érudit, Florent Chrestien (1540-1596), ancien précepteur de Henri IV. La harangue de M. d’Aubray passe pour être de Pithou ; l’idée première et le cadre des États de la Ligue, de P. Le Roy. Parmi les poésies annexées aux États de la Ligue, il faut signaler le Trépas de l’âne ligueur de Gilles Durant (1550-1615). Les éditeurs de la Ménippée l’ont ensuite grossie de diverses pièces publiées vers le même temps, et inspirées du même esprit, comme l’Histoire des singeries de la Ligue qu’on attribue à Jean de la Taille (1540-1608).

    Éditions : Tours, 1593 (1594) ; Ratisbonne, 1752, 3 vol. éd. Read, 1876, in-12 ; éd. Tricotel, 1877-81, 2 vol. éd. J. Frank, 1884 ; éd. Giroux, 1897. — À consulter : Zeitschrift fur fr. Sp. und Litt, t. IV, V, VI, — F. Giroux, La composition de la Satire Ménippée, 1904.