Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
294
poésie érudite et artistique.


3. RETOUR À L’ITALIANISME.


Autour de Ronsard pullulent les poètes : tout s’incline, même Mellin de Saint-Gelais, qui un moment voulut lutter. Tout le monde imite les procédés du maître. La Pléiade et ses alentours fournissent des pièces charmantes aux anthologies : Baïf, Magny [1], d’autres encore sont loin d’être sans mérite. Mais leur œuvre n’est qu’un diminutif et qu’un écho de celle de Ronsard. Ils n’apportent rien qui ne soit en lui, à un degré supérieur. Ils sont peu « distincts », peu « nécessaires ». Il ne faut donc nous arrêter à l’école de Ronsard que pour voir s’accuser les vices, les excès de la réforme, et les hautes ambitions s’effondrer par une rapide dégradation.

Nous remarquons ainsi les témérités de Baïf, qui forge des comparatifs et des superlatifs à la manière latine, qui tente des vers métriques sur le patron des vers latins : ainsi le génie propre de la langue, le caractère original de la versification française sont méconnus [2]. L’insuffisance du tempérament éclate dans Belleau [3], avec qui la nouvelle école verse dans le descriptif, ressource ordinaire des inspirations épuisées.

Mais le plus grave, et qui marque le mieux l’échec final de Ronsard, même en ce qu’il a d’excellent, c’est qu’il se fait comme un trou entre lui et Malherbe : la poésie ne poursuit pas son développement avec une égalité continue, à la hauteur où il l’a mise. Elle retombe après lui, dès son vivant, et ce sont les plus hautes parties, les plus utiles, qui devront être relevées et consolidées par Malherbe. En effet, on laisse les grands modèles, Homère, Pindare : on saisit Virgile par le côté sentimental et alexandrin de sa poésie. On redescend vers Saint-Gelais, en mouillant l’esprit de molle mélancolie ou de tiède volupté.

Ronsard venait à peine de rivaliser avec Pindare que Henri

  1. Éditions : la Pléiade Française (outre Ronsard et Du Bellay : Jodelle, 2 v., 1868-79 ; Dorat et Thyard, 1 v., 1876 ; Belleau, 2 vol., 1879 ; Baïf, 5 v., 1883-90), Lemerre, in-8. Magny, Odes et Poésies, Lemerre, 4 v. in-12. Trésor des vieux poètes français (Baïf, 2 v. ; Jamyn, 2 v. ; Jean de la Taille, 4 v.). Willem, in-12, Belleau, Œuvres, Bibl. elzév., 3 v. in-16, 1867. – À consulter : O. de Magny, par J. Favre, Paris, 1885 ; Augé-Chiquet, La vie, les idées et l’œuvre de Baïf (pour paraître prochainement).
  2. Baïf fut un chercheur curieux, animé de hautes ambitions auxquelles son talent ne fut pas égal. Il eut des parties de grand artiste : la richesse du vocabulaire, et un goût réaliste des mois et tours populaires, colorés, gras, savoureux ; l’imagination plastique, capable de modeler avec fermeté des formes, des attitudes et des groupes gracieux. Il y a de l’originalité et une sobriété nette dans ses Mimes, qui le classent à la fois parmi les précurseurs de La Fontaine et de la poésie morale du xviie siècle (11e éd.).
  3. Les Amours et Échanges des pierres précieuses, in-4, Paris, 1576.