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les tempéraments.

qui a le mouvement et l’éclat des Bacchanales que peignaient les Italiens, ces odelettes, où la joie fine et profonde des sens aux caresses de la nature qui les enveloppe, se répand en charmantes peintures, en rythmes délicats : tout cela, c’est le tempérament de Ronsard, fortuitement favorisé par son érudition, ou bien en rompant l’entrave. Et là, ce sont bien des chefs-d’œuvre, les premiers du lyrisme moderne, qui s’épand en toutes formes, et, négligeant les factices distinctions de genres que seule la spécialisation rigoureuse des mètres maintenait chez les anciens, met la même essence, la même source d’émotions et de beauté dans l’ode et dans le sonnet, dans l’hymne et dans l’élégie : ces chefs-d’œuvre se constituent par l’ample universalité des thèmes, et par l’intime personnalité des sentiments : c’est de l’amour, de la mort, de la nature que parle le poète, mais il note l’impression, le frisson particulier que ces notions générales lui donnent, la forme et la couleur par lesquelles se détermine en lui leur éternelle identité.

Et déjà la technique assure à ces œuvres une perfection qui les fasse durer ; je n’ai pas besoin de citer ce que tout le monde connaît : Mignonne, allons voir si la rose, ou Nous vivons, mon Panjas, ou Quand vous serez bien vieille ou l’Élégie contre les bûcherons de la forêt de Gâtine et mainte autre pièce. Car il y a dans Ronsard de quoi composer un volume où rien de médiocre n’entrerait.

Sa technique est celle d’un vrai artiste. Il a vu à quoi le métier devait servir, et il a bien compris, disons mieux, il a senti dans l’étude des anciens ce que la forme était en poésie. Il a essayé d’attraper cette forme-là, belle et parfaite. Il est loin d’y avoir réussi, et il nous est aisé d’être choqués de ses défaillances. Ici encore il a péché par érudition, toutes les fois que l’autorité des anciens lui a tenu lieu de raison. Il a péché aussi par impuissance ou insuffisance de génie, par négligence : il a souvent donné l’exemple d’une facture qu’il condamnait. Mais surtout il faut tenir compte de ce qu’il dégrossissait le premier la poésie moderne : s’il a ébauché la forme que ses successeurs devaient porter à la perfection, on peut lui passer beaucoup de défaillances nécessaires.

Il a eu deux grands mérites : d’abord, comme je l’ai dit déjà, il a restauré l’alexandrin. Puis, il a créé, mis en usage, laissé aux poètes futurs une grande variété de rythmes lyriques.

Sans doute il n’a pas tout inventé : la strophe de 6 vers (aabccd), qui est de beaucoup la plus fréquente dans les odes de Ronsard, était déjà très employée par Marot, qui même savait la diversifier en variant la longueur du vers ; il connaissait notamment la forme gracieuse qui consiste à donner trois syllabes aux second