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distinction des principaux courants.

nisme, bien pris, doit être une doctrine d’humilité : il met toute l’espérance du chrétien anéanti dans la sincérité de sa foi qui, l’attachant à Dieu, l’oblige à vouloir toutes les volontés de Dieu, à aimer le joug douloureux de son Évangile.

Pour régler la vie, comme pour saisir les rapports de l’homme à Dieu, de la nature à la religion, il a fallu que Calvin se fit psychologue et moraliste. Il l’a été en effet avec puissance et avec finesse. Depuis Cicéron et Sénèque, depuis Épictète et Sénèque on n’avait jamais écrit sur l’homme avec autant d’ampleur et de précision : ce que l’esprit français enrichi par l’éducation classique fera excellemment, la description des traits généraux de l’homme moral, je le trouve dans Calvin, qui se place ainsi aux sources mêmes du génie classique. La théologie mise à part, ce n’est plus seulement avant Pascal, avant Bossuet qu’on le rencontre : mais avant Montaigne, avant les Morales d’Amyot. Ici encore il ouvre la voie, et non plus à la philosophie religieuse, à toute large et humaine philosophie. Qui voudra s’en convaincre n’aura qu’à lire les chapitres 15 et 17 du premier livre, et ces admirables chapitres 6 à 10 du livre III, sur la vie de l’homme chrétien [1]. J’y retrouve, sous l’éminente autorité de l’Écriture, sans cesse alléguée et impérieusement dressée, j’y retrouve une pensée nourrie et comme engraissée du meilleur de la sagesse antique, et un sens du réel, une riche expérience qui donnent à tout ce savoir une efficacité pénétrante.


2. LE STYLE ET L’ÉLOQUENCE DE CALVIN.


Je ne me serais pas arrêté si longtemps sur Calvin, si l’Institution française n’était un chef-d’œuvre, le premier chef-d’œuvre de pure philosophie religieuse et morale à quoi notre langue vulgaire ait suffi. C’est une traduction : mais plus pourtant qu’une traduction, puisque l’auteur se traduisait lui-même. Aussi a-t-elle la valeur d’une œuvre moderne et originale. Personne, ni même Calvin, n’aurait pu en 1540 écrire de ce style en français, sans s’assurer le secours du latin. Dans cette langue dont il était plus maître que de son parler natal, Calvin donna à sa pensée toute son ampleur et toute sa force, et quand ensuite il la voulut forcer à revêtir la forme de notre pauvre et sec idiome, elle y porta une partie des qualités artistiques de la belle langue romaine. L’Institution fran-

  1. Lire aussi l. I, ch. i-v : je cite les divisions du texte de 1560, seul praticable en l’absence d’une édition du texte authentique de 1541. — Cf. aussi le curieux passage (1, 11, 12) qui donne 1es principes d’un art protestant, réaliste et moral.