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distinction des principaux courants.

l’œuvre de Calvin, comment cette réforme française qui semble s’opposer à la Renaissance, qui du moins la contient, en sort cependant, et en est le produit. Le livre latin est admirable de correction classique et d’énergie personnelle : c’est le chef-d’œuvre d’un grand humaniste, et l’on sait que Calvin n’était pas même dénué d’érudition hébraïque. Mais surtout la méthode de l’Institution est l’expression même de l’esprit de la Renaissance, en tant qu’il se caractérise par la découverte de l’homme et par le culte de l’antiquité.

La théologie de Calvin repoussant le lourd appareil de la scolastique prend, pour la première fois [1], une base d’argumentation dans la nature, dans les faits, dans l’expérience enfin : elle étudie l’homme, elle lui applique le dogme, elle tire de son état, de ses besoins la démonstration de la religion, qui rend compte de cet état, et répond à ces besoins. Ici Calvin n’a personne devant lui ; il a ouvert la voie le premier, et ce qu’il y a de solide et pénétrante psychologie dans la théologie de Pascal et de Bossuet, c’est lui qui le premier a enseigné à l’y mettre.

En second lieu, à cette recherche de la nature humaine, il unit l’étude de l’Écriture : elle est le texte qu’il lit, explique, commente, rejetant toutes les sommes et toutes les gloses dont on l’a obscurci, surchargé, étouffé. Il fait reparaître Moïse et saint Paul, comme d’autres au même temps ressaisissent Homère ou Tite-Live par delà les abrégés et les romans. Il traite son texte en philologue ou en historien. Il ne doute pas de la réalité des faits portés dans l’Écriture, non plus qu’avant le xviiie siècle on ne doutera de la réalité des faits racontés par Tite-Live : l’exégèse de Calvin représente exactement la même époque de la critique que les raisonnements de Machiavel, de Bossuet, et même de Montesquieu sur Tite-Live. On va au pur texte antique, comme au roc solide, inébranlable sur lequel on peut fonder. Par cette méthode, Calvin inaugure la controverse et l’apologétique modernes : et ainsi il y, a quelque chose de lui dans les Pensées et dans le Discours sur

    l’auteur de la version de 1560 ; mais vingt ans de prédication improvisée ont donné à son style une fluidité molle et prolixe qui est bien inférieure à la rudesse de la traduction de 1541. C’est la traduction de 1541 qui fait époque, et non celle qui est donnée après les traductions d’Amyot, après tant d’écrits de Calvin lui-même, de Viret, d’Henri Estienne et d’autres réformateurs. Sur cette question, cf. G. Lanson, Revue Hist., janv.-févr. 1894.

  1. Il y a avant Calvin, en latin, les Loci theologici de Mélanchthon, encore abstraits et scolastiques, le Commentarius de vera et falsa religione de Zwingle, la Sommaire briefve déclaration d’aucuns lieux fort nécessaires à un chrétien de Farel : ces trois ouvrages laissent entière l’originalité de Calvin qui garde le mérite d’avoir employé une méthode rationnelle et morale. De même les traductions des divers écrits de Luther faites depuis 1525 ne sauraient diminuer l’originalité ni l’importance de la traduction de l’Institution.