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distinctiondes principaux courants.

de Marot comme conteur dans l’ombre de la reine de Navarre. Mais il fit cet étrange Cymbalum mundi, la première œuvre française qui manifeste, entre les deux théologies également intolérantes, l’existence d’un tiers parti de libres philosophes. Se détachant du même groupe d’érudits, collaborateurs tous les deux d’Olivetan dans la traduction de la Bible, Calvin s’en alla écrire le livre de la Réforme française, et Despériers quatre petits dialogues, obscurs et railleurs, où l’on entrevoyait ces choses graves : que la foi consiste à affirmer ce qu’on ne sait pas, et que nul ne sait ; que les théologiens ressemblent à des enfants « sinon quand ils viennent à se battre » ; que Luther ni Bucer ne changeront le train du monde, et qu’après comme avant eux, mêmes misères seront, et mêmes abus ; que toute la puissance de Dieu est dans le livre, entendez que le livre, c’est-à-dire l’homme, a fait Dieu ; que les petits oiseaux montrent aux nonnes les leçons de Nature : que toutes les Églises et tous les dogmes ne sont qu’imposture et charlatanisme ; que les réformateurs sont en crédit par la nouveauté ; que leur œuvre, quoi qu’ils en aient, rendra chacun juge de sa foi. Il y a tout cela dans le Cymbalum, et d’autres choses encore, toute sorte de lueurs, de formes inachevées, dont le soudain éclair et les vagues contours inquiètent dans le jour brouillé de cette impudente fantaisie.

Rabelais suivit la voie de Despériers : mais Berquin et Caturce brûlés comme le Cymbalum lui servirent de leçons ; il savait la vigoureuse joie de son Pantagruel odieuse à Genève autant qu’en Sorbonne, et il était averti qu’il ne ferait pas bon pour lui d’aller trouver Calvin. Il voulait rester en France, et y rester en sûreté, en paix. Prudemment il se fit des patrons, cardinaux, princes, rois même. Il réimprima ses deux premiers livres, expurgés de mots mal sonnants, tels que sorbonistes, sorbonagres, sorbonicoles : il biffa même le reproche de « choppiner » volontiers, qu’il adressait en quelques lieux aux théologiens. Sa colère contre Dolet, qui réédita les deux livres sans changement, prouve combien il tenait à calmer les défiances de la Sorbonne.

Bien assuré par un privilège du roi, il se découvre dans son troisième livre, merveilleux de verve, mais dont l’ample satire évite lestement les actualités dangereuses : c’est, sur le thème gaulois

    et connut Rabelais. Il publia à Paris en 1533 son Cymbalum mundi. qui faillit faire brûler l’imprimeur Morin ; il le réimprima audacieusement à Lyon à la fin de la même année. Il mourut en 1544. H. Estienne dit qu’il se tua.

    Éditions : Œuvres françaises, Louis Lacour, 1856 ; le Cymbalum, F. Franck Paris, 1873. Les Récréations et Joyeux Devis, publiés pour la première fois en 1558, soulèvent une question d’authenticité. Par ex., fin de la Nouvelle V, le livre III de Pantagruel est cité. Or ce livre III parut deux ans après la mort de Despériers. — À consulter : Chenevière, B. Des P. Pion, 1886, in-8.