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origenes de la littérature française.

ait vécu surtout sur le territoire français : non plus que nous n’étudions la littérature gallo-romaine ou les écrits latins de notre moyen âge. La poésie provençale ne devra nous arrêter, comme toutes les littératures de langue étrangère, qu’autant qu’elle aura exercé quelque influence capable de modifier le cours de la véritable littérature française.

Au nord de la ligne idéale dont on vient de parler, toute la Gaule romaine à peu près appartient au français, un peu diminuée pourtant au Nord-Est, où les invasions barbares ont fait avancer le tudesque au delà du Rhin jusque vers la Meuse et les Vosges, et à l’Ouest, où les Bretons chassés de Grande-Bretagne par la conquête anglo-saxonne ont rendu au celtique une partie de l’Armorique. Les nombreux dialectes étroitement apparentés qui se distribuent sur ce territoire constituent ce qu’on appelle le français : ils se répartissent en cinq groupes, dont les frontières ne sont pas nettement marquées : le dialecte du Nord-Est, ou picard ; celui de l’Ouest, ou normand, celui du Centre-Nord, ou poitevin, celui de l’Est, ou bourguignon, enfin, au milieu, le dialecte du duché de France, le français proprement dit. Tous ces dialectes sont d’abord égaux, et souverains chacun en son domaine : ils s’équivalent comme instruments littéraires, et l’emploi de l’un par préférence aux autres dans un ouvrage révèle seulement l’origine de l’écrivain. Mais ils eurent des fortunes inégales et diverses selon la grandeur du rôle politique qui échut aux pays où ils étaient parlés. Le français, langue du domaine royal, s’étendit avec lui, et suivit le progrès de la monarchie capétienne ; dès la fin du xiie siècle, les beaux seigneurs de France se moquaient de l’accent picard de Conon de Béthune. Insensiblement l’unité politique devenant plus étroite et plus réelle, la littérature d’autre part se faisant de moins en moins populaire, Paris dut à ses rois et à son université d’être le centre intellectuel du royaume. Les dialectes frères du français furent peu à peu délaissés, et, ne servant plus à la littérature, descendirent au rang de patois, tellement avilis et dégradés, que souvent on les a pris pour du français corrompu : leur déchéance fut très insuffisamment compensée par la cession qu’ils firent au français d’un certain nombre de formes qui leur étaient propres.

La terrible croisade des Albigeois fut un grand événement littéraire autant que politique et religieux : elle porta d’un coup la langue française jusqu’aux Pyrénées et jusqu’à la Méditerranée. Le provençal resta le parler du peuple : mais la littérature provençale périt, pour ne ressusciter qu’après plusieurs siècles, et sans jamais reprendre son ancienne vigueur. Puis de tous les côtés, sur toutes les frontières, à mesure que les rois rattachaient de