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clément marot.

Mais le trait le plus original de sa nature, c’est la place qu’elle donne au sentiment. Le cœur en elle mène l’intelligence, elle ne vit que pour aimer et se dévouer. De là son mysticisme : elle aime Dieu passionnément, d’une libre et vive tendresse qui déborde hors de tous les cadres artificiels des idées. De là son amour fraternel : elle se donne au roi comme à Dieu, d’une pure ferveur, par un entier sacrifice. De là sa protection épandue si libéralement sur tous les suspects, toutes les victimes des théologiens, des moines et du Parlement. Auprès d’elle, dans ses apanages et ses États, Marot, Despériers, Farel, Sainte-Marthe, Le Fèvre d’Étaples, Roussel, Calvin, on pourrait dire toute la Renaissance et toute la Réforme, trouvent sécurité et liberté : les offices de sa maison, les charges de ses domaines abritent ceux à qui Béda ou Lizet rendent la France intenable. Deux fois elle leur arrache Louis de Berquin. Sa protection qui ne tombait pas de haut, et froidement, était une tendresse soucieuse où son cœur, non pas seulement sa puissance, apparaissait. Elle dispute François Ier jusqu’en 1534 au catholicisme scolastique : et c’est à peine à la fin si le roi peut défendre cette sœur plus compromise encore par sa bonté que par ses opinions.

Elle n’était pas protestante : elle ne songea jamais à rompre l’unité ; mais sa foi avait de trop vives sources pour s’accommoder de la sécheresse des scolastiques ; elle engageait dans sa religion de trop nobles aspirations intellectuelles et morales pour ne pas mépriser l’ignorance et la brutalité des moines. Elle ne voyait pas de mal à ce qu’un chrétien lût l’Écriture ou priât en sa langue, mais elle n’avait pas de doctrine ; elle s’accommodait de Calvin comme de Briçonnet. La religion en somme était pour elle affaire de haute culture et d’active spontanéité. Elle défendra cette large conception même contre Calvin, quand son dogmatisme accusera la tiédeur ou l’erreur de certains réformés.

Quelques vers au début d’une de ses meilleures pièces expriment très bien le vœu de son esprit et le vœu de son cœur[1] :


1e Fille. —

Tout le plaisir et le contentement
Que peut avoir un gentil cœur honnête,
C’est liberté de corps, d’entendement,
Qui rend heureux tout homme, oiseau, ou bête !


2eFille. —

O qu’ils sont sots et vides de raison,
Ceux qui ont dit une amour vertueuse
Être à un cœur servitude et prison,
Et pour aimer la dame malheureuse !

  1. Comédie : Deux filles, deux mariées, la vieille, le vieillard et les quatre hommes. C’est un joli essai de psychologie sentimentale, à l’aide de caractères généraux.