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renaissance et réforme avant 1535.

et du succès, voué enfin à la poursuite des jouissances matérielles. Il avait fait la littérature à son image : une littérature pauvre d’idées, de sentiment vulgaire et cynique, de forme aisée et légère sans grandeur, à laquelle les érudits des cours féodales n’étaient arrivés qu’à opposer une littérature vide, de forme compliquée, capable seulement de donner le sentiment d’un immense effort évanoui dans le néant des résultats, dans le néant même des intentions.

Quelques tentatives s’étaient produites pour élargir la pensée, ou renouveler la littérature : mystiques, hérétiques, philosophes et curieux de toute sorte avaient, avec plus ou moins de succès individuel, essayé de rompre le réseau du dogme. Certains tempéraments avaient trouvé en eux-mêmes des sources profondes de réflexion ou de poésie : diverses influences avaient excité çà et là des commencements de philosophie et d’art. Une grande idée s’était levée, l’idée nationale, lien des âmes et principe d’unité littéraire : elle pouvait prendre la place des idées centrales et communes, d’où l’inspiration du moyen âge était sortie.

Mais rien n’aboutissait : dans la littérature, qui seule doit nous occuper, tous les efforts individuels se perdaient dans l’inerte masse des débris du passé. Ni génie d’un homme, ni commun sentiment n’avaient la force de rejeter le poids encombrant des choses mortes. Tous les germes furent, non pas, comme on le croit trop souvent, étouffés, mais excités, épanouis par la Renaissance.



1. LA DÉCOUVERTE DE L’ITALIE.


On se représente communément la Renaissance comme un réveil de l’antiquité. Cela n’est pas vrai de la France, ou du moins n’est pas complet ni exact. Le xive et le xve siècle auraient fait la Renaissance, si l’antiquité seule avait suffi pour donner au génie français l’impulsion efficace et définitive. Nous avions les anciens, nous les lisions, nous les admirions : nous ne savions pas ce qu’il y fallait admirer et prendre, ce qui nous était utile et nécessaire pour nous développer. Il nous fallait l’idée de l’art, idée à que peut-être la tendance pratique de notre tempérament national répugne à introduire dans la littérature, qu’en cinq siècles il n’avait pas acquise, que peut-être il ne pouvait absolument pas s’adapter dans toute sa pureté, et qu’il lui fallut toutefois saisir le plus possible pour s’exprimer par elle dans une grande littérature. Le xvie siècle, au point de vue strictement littéraire, n’est en somme que l’histoire de l’introduction de l’idée d’art dans la littérature française, et de son adaptation à l’esprit français.