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le théâtre du quinzième siècle.

tous autres d’en jouer à Paris ou dans sa banlieue, établis à l’Hôpital de l’Hôtel de la Trinité, plus tard à l’Hôtel de Flandre, ils lurent peut-être les premiers à représenter le drame de la Passion : ils furent sans doute les promoteurs des vastes compositions cycliques, dont la permanence de leur théâtre leur rendait facile, autant qu’avantageuse, la représentation. À eux sans doute aussi revient l’idée de transporter acteurs et public dans une salle fermée : et par là, resserrant en quelques toises carrées la scène immense des places publiques, obligés de figurer insuffisamment et de ramener à un moindre nombre les lieux multiples où s’éparpillait l’action dramatique, ils préparèrent, sans s’en douter, le triomphe des unités.

Mais ces artisans, ces bourgeois, n’eurent jamais, en près de deux siècles que vécut leur confrérie, une idée qui tendit à perfectionner l’art : tel ils le prirent dans le temps où ils s’associèrent, tel en somme, ou plus bas, ils le laissèrent quand ils renoncèrent à exploiter eux-mêmes leur privilège. La Réforme leur porta un coup mortel : n’ayant pas su s’élever à l’art, ils excitèrent, par la plate familiarité ou le réalisme bouffon de leurs drames, la raillerie scandalisée des protestants, la défiance et l’hostilité des catholiques. Il était devenu nécessaire de marquer extérieurement le respect et la foi qu’on donnait aux Écritures et à la religion. D’autre part la Renaissance les condamnait : acteurs, pièces, mise en scène, tout chez les Confrères était du xve siècle : tout choque donc au xvie l’esprit nouveau, affiné par l’humanisme et par l’art italien. Le Procureur général, en 1542, ne les maltraitait pas moins comme mauvais acteurs de pièces mal faites que comme offensant la morale et la religion.

Enfin, en 1548, au moment où les Confrères s’installaient à l’Hôtel de Bourgogne, un arrêt du Parlement, en leur confirmant leur monopole, leur interdisait de jouer des mystères sacrés. Mais leur interdire les mystères sacrés, c’était leur défendre d’exister : leurs sujets étaient tout dans leurs drames ; ils n’avaient pas d’art dont ils pussent appliquer ailleurs les principes et les formes. Ils mirent près d’un demi-siècle encore à mourir, mais ils moururent.



2. SOTTIES. MORALITÉS. FARCES.


Le théâtre profane et comique [1] se développe au xve siècle avec la même abondance, excite la même passion que les pièces sacrées :

  1. Ms. La Vallière (xvie s.). 74 pièces (73 farces) petit in-fol., Bibl. nat., 24 341. Recueil du British Museum, découvert à Berlin vers 1840 : 64 pièces (61 farces), impri-