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littérature dramatique.

toute sorte de saints locaux auront leurs mystères, comme patrons de villes et de confréries ; ou bien une paroisse, un couvent voudront accréditer des reliques, recommander un pèlerinage : cela se fera par une représentation dramatique, comme trois siècles plus tôt par une épopée. Maintes fois les actes de dévotion accompagnent la représentation : à Seurre, en 1496, la veille du jour où devaient commencer les représentations d’un mystère de saint Martin, les acteurs en costume vont assister à un salut solennel dans l’église du saint, pour en obtenir du beau temps. Et pendant tout le temps des représentations, à la fin de chaque journée, ils se rendent à la même église pour chanter un Salve, Regina.

C’était chose longue et coûteuse que la préparation d’un mystère : tantôt le clergé, tantôt un prince, tantôt la ville, et tantôt des confréries ou des corporations en faisaient les frais ; il se formait des associations temporaires, à seule fin de jouer un mystère, comme celle qui entreprit à Valenciennes de jouer la Passion en 1547 ; les frais étaient communs et l’on partageait les bénéfices.

Les acteurs se recrutaient dans toutes les classes de la société, prêtres, avocats, bourgeois, artisans ; les nobles jouaient rarement, les femmes plus rarement, et à une époque très tardive. Le rôle du Christ appartenait comme de droit à un prêtre : c’est en cette qualité qu’à Metz (1437) le curé Nicole faillit mourir en l’arbre de la croix, pour y être resté pendu plusieurs heures de suite, récitant trois ou quatre cents vers dans son agonie. Il fallait beaucoup de zèle, de patience et de discipline, pour monter un mystère, pour rassembler, instruire, dresser parfois plusieurs centaines d’acteurs, pour arriver sans encombre du cry qui, plusieurs mois à l’avance, annonçait l’entreprise et invitait les acteurs volontaires à se présenter, à la montre solennelle, qui promenait par la ville tout le personnel de la représentation, en costumes parfois somptueux, depuis Dieu le Père jusqu’au dernier valet de bourreau.

Les représentations duraient souvent plusieurs jours, parfois plusieurs semaines. Le Mystère des Actes des Apôtres, à Bourges, en 1536, se poursuivit pendant quarante jours : il mit en action cinq cents personnages. Il va sans dire que nulle ombre d’unité, au sens classique du mot, n’existait dans de telles pièces. Même les plus courts mystères ceux qui ne demandent qu’un jour, usent du temps et du lieu avec une extrême liberté. Le lieu change d’une scène à l’autre sans difficulté ; et sans difficulté aussi, le drame embrasse dix ans, un siècle, ou quatre mille ans, comme le Mystère du Vieil Testament.

Ce théâtre est à la fois minutieusement réaliste et hardiment