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le quinzième siècle.

seront debout devant la Figure (Dieu) ; Adam plus rapproché, le visage au repos ; Ève un peu plus bas. Qu’Adam soit bien instruit quand il devra répondre, pour qu’il ne soit pas trop prompt ou trop lent à le faire. Que non seulement lui, mais que tous les personnages soient instruits à parler posément, et à faire les gestes convenables pour les choses qu’ils disent ; qu’ils n’ajoutent ni ne retranchent aucune syllabe dans la mesure des vers, mais que tous prononcent d’une façon ferme, et qu’on dise dans l’ordre tout ce qui est à dire. »

Cela est d’un auteur ou d’un metteur en scène qui a le sens et l’amour-propre de son art. Mais certaines attaches encore visibles révèlent les origines liturgiques du drame. Dans le drame d’Adam, l’église sert de coulisse, au moins à Dieu, qui y rentre quand il a parlé. Le latin s’y maintient, extérieur au dialogue dramatique, l’encadrant, le sanctifiant pour ainsi dire : des leçons, des versets, où le texte de l’Écriture est exactement donné, rendent en quelque sorte au poème sa destination première. Dans le fragment de la Résurrection qu’on citait tout à l’heure, la forme dramatique est encore engagée dans une narration continue qui relie les scènes dialoguées, et qu’un lecteur ou meneur du jeu avait peut-être charge de réciter. Ces deux particularités font le caractère archaïque des deux compositions dont je parle.

Seule la Représentation d’Adam a une valeur littéraire. Le sujet en est le vieux drame de Noël, le drame des Prophètes du Christ : mais il s’est amplifié, il a tendance à absorber tous les épisodes saillants de l’Ancien Testament, et par suite à se scinder en drames épisodiques. Dans la composition qui nous occupe, le défilé des prophètes est précédé d’un « Adam chassé du Paradis » et d’une « Mort d’Abel » ; ce sont en réalité trois pièces juxtaposées, et l’idée de la Rédemption fait seule l’unité du tout. Les deux premières parties surtout font honneur au clerc inconnu qui a rimé les récits de la Genèse en son langage normand. Il y a de la vigueur dans ce style simple, courant, direct, qui ne s’étale pas en plats bavardages : on aime mieux cette sécheresse archaïque et nerveuse que l’insipide et intarissable prolixité des Grébans. Même de toute façon, pour la conduite de l’action, pour le sens dramatique ou poétique, ce vieux drame est supérieur à la Passion du xve siècle, comme au mystère du Vieux Testament, partout où on les peut comparer. Au moins le poète du xiie siècle sait-il choisir, et retrancher, et abréger : au moins voit-il quelque chose par delà les faits, il a aperçu la grandeur pathétique du premier péché et du premier crime, et il a tâché de rendre quelque chose des sentiments intimes des acteurs. Sa tentation est une tentation, conduite vraiment avec délicatesse, et l’on a eu raison de louer la